Des personnels qui coopèrent dans les écoles, établissements et services : un enjeu fort, identifié par le Sgen-CFDT de longue date, pour un bien-être professionnel et une réussite des missions de service public.
Des personnels mieux dans leur travail parce qu’autonomes et émancipés : tel est le défi qui se pose à nos pratiques dans les systèmes d’éducation et de formation a rappelé Lætitia Aresu, au nom du Sgen-CFDT, en se demandant comment rendre les agent·e·s acteurs et actrices de l’organisation de leur travail – question qui était l’un des axes de réflexion de la seconde table-ronde organisée autour de « L’École à l’heure de l’intelligence collective » dans le cadre de l’assemblée générale des Sgen-CFDT réunie à l’université de Bourgogne, du 23 au 25 février 2022.
Comment permet-on aux équipes d’organiser leur travail collectivement et de s’investir comme elles le souhaiteraient? Le système actuel qui fait perdurer le schéma « un·e enseignant·e, une classe, une année, un programme » permet-il cette intelligence collective ? Et dans une société en transition, à quelles évolutions aspirons-nous pour que la qualité de vie au travail devienne réalité pour tous les personnels ?
Des personnels acteurs et actrices de l’organisation de leur travail
Dans le préambule de notre dernière résolution de congrès à Dijon (en mai 2021), était soulignée la « nécessité de nous affirmer comme des acteurs et actrices d’un syndicalisme qui permette aux personnels de s’organiser collectivement pour améliorer leurs conditions d’exercice, affirmer le sens de leur travail et de leur action au service du public ».
Nous pensons que pour des personnels mieux dans leur travail, nous devons agir pour que ce travail soit porteur d’émancipation. Pour accompagner au mieux les enfants et les jeunes vers leur réussite, de la maternelle à l’université, la dimension collective, la capacité à construire collectivement, la capacité à agir pour soi, pour les autres et avec les autres… en un mot, la force émancipatrice du collectif est nécessaire.
Une fois cela dit, de quoi a-t-on besoin pour permettre la coopération des personnels pour construire collectivement des réponses efficaces au service de la réussite de toutes et tous, la réussite des élèves et des étudiant·e·s, bien sûr, mais aussi des personnels au niveau professionnel ? Comment permet-on aux équipes d’organiser leur travail collectivement et de s’investir comme elles le souhaiteraient ? Le système actuel qui fait perdurer le schéma « un·e enseignant·e, une classe, une année, un programme » permet-il cette intelligence collective ? Et dans une société en transition, à quelles évolutions aspirons-nous pour que la qualité de vie au travail devienne réalité pour tous les personnels ?
La question du temps
Un constat s’impose : les personnels ont besoin de temps pour prendre du recul et réfléchir collectivement à la mise en œuvre du projet pédagogique et à l’accompagnement des élèves et des étudiant·e·s (NDLR : cf. l’intervention d’Alexis Torchet dans Ressources complémentaires ci-dessous).
Il y a (…) un enjeu local fort à évoluer vers des organisations plus collectives pour faire état des expérimentations et des expériences, et les porter dans des revendications ministérielles.
Des organisations internes spécifiques sont possibles et existent, et c’est très souvent, pour ne pas dire toujours du fait de la volonté d’un ou d’une chef·fe d’établissement, d’une équipe de direction… Il y a donc un enjeu local fort à évoluer vers des organisations plus collectives (NDLR : cf. l’intervention de Damien Dubreuil, idem) pour faire état des expérimentations et des expériences, et les porter dans des revendications ministérielles.
Cela étant, au-delà des réunions institutionnelles (conseils en tous genres), ce qui semble aussi faire défaut actuellement, ce sont des espaces collectifs de réflexions et de discussions dédiés au projet du collectif de travail pour la réussite des élèves ou des étudiant·e·s… Et ce manque est intimement lié à l’organisation du travail et à la question du temps. (Lire dans la résolution du congrès de Dijon : « II. Notre projet pour les personnels : un travail émancipateur – 2.1.5. Prendre en compte le professionnalisme des agent·e·s – 2.1.5.2.2. (…) que du temps soit donné aux équipes pour construire les réponses singulières aux publics, à leur environnement et aux territoires.»)
Participer à la réflexion collective sur les orientations du projet et les objectifs, ainsi qu’au pilotage collectif se fait sur du temps « personnel ». Comme ce temps n’est pas officiel (la réunion de service avec des personnels d’enseignement n’étant pas prévue dans les obligations réglementaires de service-ORS), certaine·e·s agent·e·s s’excluent de la démarche car l’articulation entre la vie professionnelle et la vie privée ne leur permet pas de s’investir dans ces temps.
Qu’entendre par « temps officiel » ? Il s’agit d’un temps reconnu pour une mission. Actuellement, le temps de concertation reconnu dans les ORS est le temps pondéré à 0,2 sur l’ensemble du service quand on enseigne en Rep+. Malheureusement servi en heures supplémentaires (HS). Rappelons qu’un des enjeux de l’éducation prioritaire était de faire émerger un travail collectif avec des temps de formation et de concertation. Une des revendications historiques du Sgen-CFDT était ainsi le « 15+3, toutes taches comprises », c’est-à-dire quinze heures de face-à-face pédagogique et trois heures de concertation comprises dans le service.
D’où la nécessité d’aller plus loin dans la reconnaissance des différentes missions, reconnaissance amorcée en 2014 avec la répartition des missions des personnels d’enseignement du second degré en trois blocs qui a permis de rendre plus visibles un certain nombre de missions, jusqu’alors liées au métier d’enseignant·e de manière implicite. Pour les enseignant·e·s du premier degré, c’est la redéfinition des 108 heures et le temps de face-à-face pédagogique qui doivent être réinterrogés.
D’une manière générale, le Sgen-CFDT souhaite réexaminer la question du temps de service des enseignant·e·s pour améliorer l’organisation du travail en fonction d’un certain nombre d’éléments (temporalités de cycle, contraintes climatiques et structurelles, modularité des ORS…). C’est un des mandats de travail donné par le congrès de Dijon.
Des formations adaptées et des évaluations communes
« Pour une organisation du travail qui permette aux personnels de prendre toute leur part dans les décisions et ainsi de pouvoir agir pour définir des priorités dans les tâches à accomplir, travailler avec d’autres pour réaliser leurs missions, échanger pour acquérir des connaissances et des compétences » (Résolution du congrès de Dijon).
Il faut aussi prévoir des temps de formation, notamment à la coopération. Coopérer ne se décrète pas. Certaines conditions doivent être réunies. Il faut intégrer progressivement la culture de la coopération pour susciter l’adhésion au projet collectif. C’est pourquoi le Sgen-CFDT souhaite que « les équipes de travail soient formées à travailler ensemble pour être plus autonomes dans l’exercice de leurs missions. » (Article 2.1.2.3 de la résolution du congrès de Dijon).
Il faut intégrer progressivement la culture de la coopération pour susciter l’adhésion au projet collectif.
Une condition essentielle est de prendre en compte les besoins de formation des équipes et de se donner aussi le temps de l’analyse de pratiques entre professionnel·le·s qui peut contribuer à l’acquisition de connaissances et de compétences. À ce titre, le Sgen-CFDT revendique des temps de supervision et/ou d’analyse de pratiques, notamment dans le cadre de la mise en œuvre de l’École inclusive. À l’heure où les besoins de différenciation pédagogique s’amplifient du fait de l’École inclusive au sens large – enfants en situation de handicap mais aussi enfants en grande difficulté scolaire –, mais également du fait des conséquences de la crise sanitaire, il est essentiel de pouvoir partager ses difficultés et de réfléchir collectivement aux solutions envisageables. Le temps est un atout majeur pour faire évoluer les pratiques et les relations pédagogiques.
À l’heure où les besoins de différenciation pédagogique s’amplifient du fait de l’École inclusive au sens large – enfants en situation de handicap mais aussi enfants en grande difficulté scolaire –, mais également du fait des conséquences de la crise sanitaire, il est essentiel de pouvoir partager ses difficultés et de réfléchir collectivement aux solutions envisageables.
Toutes revendications qui figurent dans le texte de résolution adopté au congrès de Dijon en mai 2021 (« 2.1.4.4. Supervision et analyse de pratiques (…) 2.1.4.4.1. La mise en place effective d’une École inclusive nécessite que les personnels puissent travailler en équipes pluriprofessionnelles, et soient accompagnés par des professionnel·le·s qualifié·e·s, avec une approche psychologique notamment. C’est ce que propose la démarche de supervision. Cela doit permettre aux équipes comme aux individus d’être en capacité de répondre pleinement à ces publics et de bien le vivre. Cette démarche doit être proposée lorsque les personnels l’estiment nécessaire. (…) 1.1 Éduquer et former pour émanciper (…) 1.1.1.2. Les interactions, la collaboration étroite des différent·e·s professionnel·le·s et des familles doivent être garanties par du temps dédié inclus dans le temps de travail sans l’alourdir. »)
Il est essentiel de permettre la continuité des projets pédagogiques, et en ce sens, la formation et l’analyse de pratiques y contribuent.
Ce cadre collectif est à construire par la négociation ou le rapport de forces, au national comme au local, de façon à élargir le pouvoir d’agir. Nous devons montrer que notre action syndicale permet tout à la fois de prendre soin de soi et des autres. Au Sgen-CFDT, nous faisons le pari que le travail en équipe, une réelle coopération professionnelle entre tous les personnels d’un même lieu de travail permettent plus de solidarité et impactent positivement le climat scolaire ou le climat de travail. Parce que les personnels sont mieux au travail et parce que la coopération permet de mieux se connaître.
Des extraits de son intervention ont paru dans le no 284 – Mars-avril 2022 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.
Pour en savoir plus sur la table-ronde, lire « Valeurs, confiance, temps de service : les facteurs d’un travail plus collectif à l’École (AG Sgen) », article paru dans News Tank Éducation & Recherche le 24 mars 2022.