Interview de Marie-Ève Leroux-Langlois, proviseure de la cité scolaire Claude Monet à Paris.
Située dans le XIIIe arrondissement, la cité scolaire Claude Monet accueille 1 800 élèves qui se répartissent entre le collège, le lycée et les classes préparatoires aux grandes écoles, et compte 190 personnels.
Comment décrirais-tu ton rôle de pilotage à la tête de la cité scolaire Claude Monet ?
J’envisage mon rôle et j’exerce mes missions dans un cadre que je décris comme systémique, c’est-à-dire en prenant en compte l’ensemble des actions et interactions des membres de la communauté scolaire : mon rôle est de les mettre en synergie.
Mon rôle est clairement un rôle de gestion des ressources humaines
L’activité de chacun·e (élève, personnel enseignant et non-enseignant, parent), provoque des réactions qui influencent le fonctionnement de l’établissement et ouvre le champ de l’imprévu. Je dois les percevoir, les sentir, les repérer, les analyser, les gérer et enfin les mettre en cohérence dans le cadre de la politique de l’établissement que je dirige.
Mon rôle est clairement un rôle de gestion des ressources humaines, dans le sens où je dois faire entrer le collectif dans l’action individuelle. J’accompagne les enseignants pour qu’ils acceptent de prendre leur place dans l’action collective. S’ils l’acceptent, c’est pour qu’ils s’y retrouvent, et je dois donc donner du sens à cette action collective.
Au-delà de cette fonction de pilotage, j’ai un rôle d’information et de communication, aussi bien à l’intérieur de l’établissement que vis-à-vis de l’extérieur.
J’accorde également beaucoup d’importance au climat scolaire. Il y a une base commune qui nous permet de vivre ensemble et de partager les espaces communs du collège et du lycée, c’est celle du respect mutuel. Je suis très sensible et très attentive à la perception que chacun·e peut avoir en entrant dans la cité scolaire. Ainsi, je suis sur le perron de l’établissement tous les matins pour accueillir élèves et personnels.
Sur quels collaborateurs et collaboratrices, et sur quelles instances, peux-tu t’appuyer pour remplir tes missions ?
Une donnée première : je ne choisis aucun personnel. J’ai trois adjoints, un pour le lycée, un pour le collège et un adjoint-gestionnaire. Cette équipe de direction se réunit chaque semaine. Il n’y a pas de dérogation à cet agenda et pas de séparation entre les missions, tous les sujets sont partagés.
J’organise une réunion « vie scolaire » bi-hebdomadaire qui rassemble les deux adjoints pédagogiques, le gestionnaire selon les thématiques, et les quatre conseillères principales d’éducation (CPE) de la cité scolaire.
L’instance clé, l’organe central, de l’établissement est le conseil d’administration, dont je fais un espace où l’information et la communication ont toute leur place. Il y a hélas deux conseils d’administration, un pour le lycée et un pour le collège. J’ai l’an dernier réuni une commission permanente commune pour l’examen de la dotation horaire globalisée et la répartition des besoins par discipline. J’ai également réuni cette année un conseil d’administration commun.
Je fais du conseil d’administration un espace où information et communication ont toute leur place.
J’anime un conseil pédagogique composé de deux représentants par discipline. La taille de l’établissement rend l’exercice très difficile. Compte tenu de l’amplitude des horaires de cours, du lundi au samedi matin, jusqu’à 19 h 30 en semaine, il n’est guère possible de réunir un conseil pédagogique pour un travail régulier.La taille de l’établissement rend l’exercice très difficile
Une feuille d’information hebdomadaire rédigée par la proviseure et la principale-adjointes est diffusée aux personnels pour leur permettre un accès facile à toutes les informations de la cité scolaire.
L’équipe de direction rencontre régulièrement les parents, ce qui participe à ma stratégie de pilotage. Les coordonnateurs de discipline que je consulte régulièrement jouent un rôle transversal et intermédiaire.
Le bassin de formation qui regroupe les établissements scolaires du secteur pourrait être une instance de pilotage pertinente. Ainsi, l’autonomie ne se résumerait pas à une concurrence entre établissements, mais se caractériserait par une vraie complémentarité.
Quels sont les freins les plus importants que tu rencontres dans l’accomplissement de tes missions ?
Le frein principal, c’est moi, parce que pour pouvoir diriger et piloter, il faut pouvoir se garder des temps de réflexion, des moments de questionnement et conserver l’énergie nécessaire. Cependant l’amplitude de travail m’impose une vie d’ascète et une capacité de résistance physique importante.
Je dirige un gros établissement, j’en connais les règles et j’en assume la charge et la complexité des tâches. La taille du lycée est une limite à l’exercice de mes fonctions. J’oscille entre intransigeance et fluidité, pour tenir le cap et respecter les choix politiques que j’ai effectués.
Pour pouvoir diriger et piloter, il faut pouvoir se garder des temps de réflexion, de questionnement, et conserver l’énergie nécessaire.
Les faibles ressources en personnels de secrétariat ne correspondent pas aux besoins d’un si gros établissement.
Une autre difficulté majeure réside dans l’appropriation des politiques successives que définit le ministre. Les oscillations sont trop fortes pour des politiques d’établissement qui ont besoin de stabilité.
Une difficulté majeure réside aussi dans l’appropriation des politiques ministérielles successives
Je tiens au cadre national et je crains toujours que les spécificités locales ne cachent un retour sur des valeurs que je considère comme fondamentales pour permettre à chacun·e, quel que soit son point de départ, de progresser et de réussir. Ces spécificités locales sont celles que nous devons prendre en compte dans le cadre d’une nécessaire autonomie.
L’ambivalence est très présente dans notre système éducatif. Ainsi, l’élève est toujours au centre d’une évaluation individuelle alors qu’on lui demande de travailler dans un collectif (la classe, le groupe, l’établissement).
Quelles propositions formules-tu pour faire évoluer le pilotage de ton établissement ?
Je me suis toujours étonnée de la méconnaissance que nous avons, nous enseignant·es, de l’évolution psychologique de l’enfant. Cela ne fait pas partie de nos formations disciplinaires. Le « comment travailler en classe » vient tard. Pourquoi n’y a-t-il que les enseignant·es d’éducation physique et sportive qui soient bien formé·es sur l’évolution de l’enfant au jeune adulte ?… Cette formation manque de toute évidence.
Les enseignant·es méconnaissent l’évolution psychologique de l’enfant…
Ne laissons pas l’expérience compenser les connaissances de base nécessaires à l’accompagnement des élèves. Et pourtant, c’est l’expérience qui me permet aujourd’hui de penser le pilotage de la cité scolaire. La technique est nécessaire, mais elle ne m’intéresse pas.
Je suis pour une réforme du bac, non seulement pour simplifier un examen qui nous mobilise durant tout le mois de juin, qui empiète sur le nombre de semaines d’enseignement auquel les élèves ont droit, mais aussi pour s’interroger sur cet examen qui continue d’être le premier grade universitaire. Une réforme de fond pourrait impacter toute l’architecture de la scolarité et interroger le moment opportun de la spécialisation de l’élève. Le collège et le lycée doivent, à mon sens, rester attachés à la construction de « l’individu-élève » qui ne peut fonctionner qu’en société. Nous devons amener l’élève à se construire et à construire un parcours qui lui permettra de s’insérer, de trouver sa place personnelle et professionnelle.
Je suis pour une réforme du baccalauréat
Le conseil de classe est un espace que je considère comme très important. On y entend le collectif enseignant qui s’exprime sur le même élève-individu. Le champ lexical employé est lourd de sens et j’y veille afin que chaque enseignant soit un formateur et un éducateur bienveillant. La présidence du conseil de classe complète mon information en matière de complémentarité des personnels, de construction des services et de synergies que je dois mettre en œuvre pour parvenir à réaliser une bonne gestion de la ressource humaine au service des élèves.
Enfin, pour mes collaborateurs et collaboratrices directs, il est évident qu’ « un bon alignement des planètes » (une bonne complémentarité et un partage de valeurs) facilite le pilotage d’un établissement