Cette tribune de Septembre 2018 est toujours et plus que jamais d'actualité en ces temps de campagne présidentielle. C'est bien d'une loi de programmation pluriannuelle dont l'enseignement supérieur a cruellement besoin.
Tribune commune au Sgen-CFDT et à la FAGE (Fédération des Associations Générales Étudiantes), 12 septembre 2018.
Le Sgen-CFDT et la FAGE, à l’occasion de la réforme de l’accès au premier cycle de l’enseignement supérieur, ont demandé l’ouverture d’un grand débat sur la place, le rôle, le financement et les publics des filières sélectives.
Tous les jeunes et tous les personnels ont droit à la même considération de l’État
Dès février 2018, le Sgen-CFDT et la FAGE avaient appelé l’ensemble des autres organisations syndicales à la solidarité pour ouvrir un débat fondamental : celui de la différence de financement entre filières sélectives et non-sélectives. Le Sgen-CFDT et La FAGE continuent à porter cette demande. Car tous les jeunes ont droit à la même considération de l’État, quelle que soit l’origine sociale ou géographique et quelles que soient les formations et établissements dans lesquelles ils sont inscrits. Car l’ensemble des personnels ont également droit à la même considération en particulier lorsqu’ils assurent la mission de service public d’accueil de tous les jeunes dans le respect des valeurs de la République.
Il est aujourd’hui indispensable d’interroger le modèle français d’enseignement supérieur.  54 % des places offertes dans les formations post bac se trouvent désormais dans des formations sélectives. L’investissement par étudiant varie de deux à dix, tout comme le taux d’encadrement … et toujours en faveur des filières sélectives !
Pendant ce temps, certaines universités tentent de tirer leur épingle du jeu pour attirer ce qu’elles considèrent être les « bons » étudiants et les « bons » enseignants-chercheurs, entretenant ainsi elles-mêmes l’idée d’un enseignement supérieur à deux vitesses. Elles multiplient les filières sélectives (double-licence, bachelor, etc.) et, par manque de moyens alloués par l’État, doivent prendre sur leurs fonds propres au détriment d’autres formations, de la recherche, des conditions de travail des personnels. Il semble aussi plus noble pour certains de prioriser les Masters et d’abandonner à d’autres, les filières de licence jugées moins intéressantes, moins «rentables».
Réformer un modèle qui doit rester universel et ouvert à tous
Ces évolutions se font sans analyse réelle des conséquences sur le modèle français d’enseignement supérieur et de l’impact que cela a et aura sur les agents, leurs métiers, leurs conditions de travail.
Aujourd’hui se pose la question de réformer ce modèle qui doit rester universel et ouvert à tous.
Les évolutions engendrées par la massification, par la mise en concurrence des établissements, les nouveaux modèles de financement et de gouvernance, sont importantes. Elles ne peuvent se faire sans que les personnels, les étudiants et les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche soient associés à une réflexion sur le modèle d’ESR que nous souhaitons pour faire face aux enjeux de la démocratisation de la réussite, aux enjeux de société tels que le «vivre ensemble» ou la transformation de notre modèle économique pour une transition écologique indispensable.
Le modèle, dans son état actuel, détériore toujours plus les conditions de travail des personnels et des étudiants, les précarise chaque année plus fortement, les met en concurrence plutôt que de les faire coopérer, les exclut des décisions qui pourtant impactent leur travail au quotidien par des modes de gouvernance dépassés, les pousse à passer toujours plus de temps à chercher des financements au détriment de leurs travaux de recherche, les accable de tâches toujours plus nombreuses, ne reconnaît pas les évolutions importantes en matière de pédagogie et de formation avec en particulier l’usage du numérique.
Il est temps de construire un nouveau modèle, plus démocratique où la co-construction permettra à chacun de pouvoir agir sur son travail en prenant part à l’élaboration des décisions qui l’impactent directement ; un modèle davantage bienveillant pour les personnels et les étudiants où l’accompagnement remplacera l’évaluation sommative ; un modèle où les taux de succès aux appels à projet permettront de motiver les équipes plutôt que les démoraliser ; un modèle où les financements récurrents prendront en compte les contraintes des établissements et seront pluriannuels afin de permettre la mise en place de véritables stratégies et politiques de développement ; un modèle où l’État jouera son rôle de stratège et de coordination et accompagnera par un dialogue de gestion renouvelé l’élaboration de stratégies territoriales visant à créer des ensembles cohérents et complémentaires porteurs de projets de formation et de recherche construits avec les personnels et les étudiants ; un modèle dont le financement sera à la hauteur des enjeux d’un pays tel que la France qui doit voir dans son enseignement supérieur et dans sa recherche un investissement et non pas un coût.
Ne pas réagir et laisser faire serait catastrophique voire suicidaire
Utopistes direz-vous ? Non simplement réalistes. Sans prise de conscience des pouvoirs publics, l’enseignement supérieur et la recherche vont droit vers l’effondrement car les personnels ne pourront pas continuer à donner autant et à ne rien recevoir ou si peu ! Déjà les « vocations » se tarissent. De nombreux jeunes chercheurs, faute de perspectives dans les universités et les organismes de recherche, quittent la France pour enrichir les connaissances et compétences des équipes de recherche à l’étranger. Les étudiants se tournent un peu plus chaque année vers les établissements privés dont les effectifs augmentent régulièrement de 3 % en moyenne depuis le début des années 2000.
Ne pas réagir et laisser faire serait catastrophique voire suicidaire.
Le Sgen-CFDT et La FAGE appellent le gouvernement à ouvrir des états généraux de l’enseignement supérieur et de la recherche pour évaluer les nombreuses réformes qui ont été menées ces vingt dernières années afin d’en mesurer l’impact, notamment, sur la démocratisation de la réussite étudiante et les conditions de travail des personnels. Mais aussi pour que les personnels et les usagers puissent enfin être associés à la définition d’un nouveau modèle d’enseignement supérieur et de recherche.