Pour un président d'université, la pandémie de Covid-19 et la mise en confinement ont constitué une gestion de crise tout à fait exceptionnelle. Qu'en retenir ? Et quels enjeux à venir ?
Président d’université et mise en confinement. Quelles ont été les spécificités d’un management en temps d’épidémie ? Qu’en a-t-il été de la continuité de service ?
Un extrait de cet entretien a paru dans le dossier « Déconfinement : le combat continue » du no 275 (mars-avril-mai 2020) de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.
En tant que président d’université de l’UBO, quelle a été votre première pensée en apprenant la décision de confinement ?
Je n’ai pas écouté l’allocution du président de la République car je présidais la finale interrégionale de Ma thèse en 180 secondes à Brest. Quand les premiers textos sont arrivés, j’ai dû quitter la salle pour appeler le rectorat et organiser une cellule de crise pour le lendemain matin. Même si nous savions que de plus en plus d’universités fermaient partout dans le monde, l’annonce ce jour-là fut une vraie surprise pour tous.
Et quelle a été votre première action de président d’université ?
La première pensée fut : sauver l’année des étudiants.
Il a fallu organiser une cellule de crise dès le lendemain pour cadrer l’action des équipes et préparer des directives urgentes, notamment pour les composantes de formation puisque, dans un premier temps, il s’agissait d’une fermeture au public. La première pensée fut : sauver l’année des étudiants. Nous sentions dès l’origine qu’il serait très difficile de reprendre les cours cette année.
Comment avez-vous travaillé, et avec qui, pour la mise en confinement ?
Cette mise en confinement a été tellement rapide que le temps de concertation a dû être réduit au minimum, hélas. La cellule de crise comprenait, à l’origine : la direction générale des services, la direction des ressources humaines, la direction du système d’information, le responsable de prévention, la direction du patrimoine, la direction de la communication, le fonctionnaire de sécurité et de défense et le cabinet.
Vous êtes-vous senti préparé pour faire face à cet événement ?
Même si l’UBO n’est pas une université parmi les plus reconnues pour l’enseignement à distance, le lent travail d’appropriation des outils numériques a payé…
Université de Bretagne occidentale © Viditu
A priori je dirais non, car c’est une situation complètement nouvelle et même s’il existe des bases pour un plan de continuité de l’activité, elles restent théoriques et ne sont jamais adaptées à une situation concrète. Mais a posteriori, en voyant à quelle vitesse les collègues des équipes pédagogiques et des services d’appui ont pris le virage de l’enseignement à distance, je dirais que nous étions mieux préparés que nous le pensions. Même si l’UBO n’est pas une université parmi les plus reconnues pour l’enseignement à distance, le lent travail d’appropriation des outils numériques a payé, dans des circonstances exceptionnelles.
Quelles ont été les principales difficultés à surmonter ?
Le plus difficile a été l’installation dans le temps long. Nous sentions que cela allait durer, mais nous avons tous été pris par l’urgence. Dès lors, les bricolages qui tiennent quinze jours cèdent quand il s’agit de deux mois. J’ai fait plus de 700 dérogations au confinement pour que des collègues puissent passer récupérer de quoi travailler sur un plus long terme. Concernant les personnels, il a fallu être très attentif à la diversité des situations : certains ont été (et sont encore) à la limite du burn-out, d’autres ont mal vécu une brutale chute de leur activité. Ce n’était vraiment des vacances pour personne – ni pour les hyperactifs, ni pour ceux voués à une hypoactivité.
Concernant les personnels, il a fallu être très attentif à la diversité des situations : certains ont été (et sont encore) à la limite du burn-out, d’autres ont mal vécu une brutale chute de leur activité.
En quoi a consisté votre travail de président d’université ? A-t-il été très différent de vos missions habituelles ?
90 % de mon temps s’est passé en télétravail, avec une moyenne de 6 h par jour en visioconférence
Hormis une présence hebdomadaire d’une demi-journée au bureau pour parapher les documents qui exigent une signature manuscrite, 90 % de mon temps s’est passé en télétravail, avec une moyenne de 6 h par jour en visioconférence, le reste par échanges de mails. La gestion de crise m’a pris plus de la moitié du temps : dans une université pluridisciplinaire comme l’UBO, la diversité des situations est telle qu’il faut sans cesse composer entre la nécessité d’une politique homogène et celle de tenir compte des différences.
UBO – Faculté des sciences et techniques © Kergourlay
La gestion de crise m’a pris plus de la moitié du temps…
Pour l’autre partie de mon temps, les activités sont restées celles de l’agenda habituel d’un président : construire dans la durée, avoir un œil sur les finances, poursuivre des projets de long terme (regroupement sur le site, préparation de l’évaluation, université européenne, etc.). Dans mon cas, en plus, nous avons dû, les quinze premiers jours, trouver une solution institutionnelle inédite, car l’élection du président (en l’espèce, ma réelection) était programmée le… 20 mars. Elle n’a finalement pu avoir lieu, à distance, que le 2 avril. C’était un sujet de plus – pas obsédant, mais important pour la vie de l’établissement –, qui tombait en pleine crise.
UBO – Bâtiment de la présidence © Kergourlay
Pour l’autre partie de mon temps, les activités sont restées celle de l’agenda habituel d’un président…
Des missions ont-elles dû être assurées en présentiel et quelles ont été les catégories d’agents les plus sollicitées ?
Aucun agent de l’UBO n’a eu à travailler en présentiel de façon durable. Les collègues les plus sollicités (en moyenne 48 h de présence continue par semaine) ont été les services RH et financiers, la préparation des paies (qui ne peut pas se faire convenablement à distance) étant une priorité, mois après mois. Certains techniciens ou chercheurs ont dû aussi passer régulièrement pour s’occuper du matériel de recherche (cultures, animaux de labo…).
Aucun agent de l’UBO n’a eu à travailler en présentiel de façon durable.
Et pour les étudiants confinés en cités U ?
UBO – Cité universitaire Kergoat, Brest © Kergourlay
Nous avons travaillé en parfaite intelligence avec le Crous d’une part et les associations étudiantes d’autre part, notamment l’épicerie solidaire Agoraé. L’objectif était de recenser les besoins et d’y répondre, que ce soit pour les dépenses de première nécessité (bons de repas, paniers, cartes bancaires à usage unique) ou pour les besoins pédagogiques (prêts d’ordinateurs, clés 4G car de nombreux étudiants finistériens logeant dans le parc privé n’avaient pas de connexions suffisantes).
Comment un président d’université gère-t-il la question des évaluations dans un tel contexte ?
Conformément aux dispositions réglementaires, il appartenait à la commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) de se prononcer. Mais nous avons beaucoup discuté avec les composantes, lesquelles étaient en lien avec les équipes pédagogiques. En dehors d’une équipe extrêmement réticente à l’égard des évaluations à distance, nous avons surtout travaillé en commun pour trouver les meilleures solutions et les tester avant d’y confronter les étudiants. Ensuite, le travail sera celui des jurys, qui se prononceront en toute sérénité.
Comment préparez-vous la rentrée 2020 ?
il est temps de s’y mettre, même si nous ne savons pas encore à quoi ressemblera la rentrée.
Les composantes et les services d’appui viennent d’entamer concrètement une réflexion globale : il est temps de s’y mettre, même si nous ne savons pas encore à quoi ressemblera la rentrée. Il est à craindre qu’il faille à nouveau faire face à un risque pandémique, et donc à des mesures très contraignantes et difficiles. En plus, ce n’est pas la même chose, pédagogiquement, de finir un semestre bien entamé, et de commencer une année, surtout avec des néo-bacheliers. Cela va devenir la préoccupation constante de tous dans les semaines à venir…
La ministre a annoncé que la rentrée se fera dans des conditions différentes…
Si l’on doit réduire la capacité d’accueil de nos locaux d’enseignements (et pas seulement les amphis), il faudra recourir au numérique, bien sûr, et trouver des solutions hybrides, en ayant une attention toute particulière, comme je le disais, pour les néo-bacheliers : l’université, c’est l’apprentissage de l’autonomie intellectuelle… il y a souvent de très sérieux écarts entre étudiants quant à la capacité à travailler en solo, à distance, par soi-même. L’essentiel de l’effort devra porter là-dessus.
L’ordonnance d’urgence sanitaire a permis de se passer de la consultation des instances. Qu’en a pensé le président d’université que vous êtes ?
J’ai toujours compris cette disposition de l’ordonnance comme une précaution juridique liée à l’urgence, et non comme une incitation à décider, seul, de tout. Il a fallu arbitrer très vite certaines questions, à un moment où nous n’avions jamais envisagé de tenir un conseil d’administration ou un comité technique (CT) intégralement en visio ! Pour l’entrée en confinement, il était impossible de consulter avant d’agir. En revanche, pour la sortie, nous avons pu consulter, notamment les CT et comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Dans ce cadre, les organisations syndicales ont profondément enrichi de leurs remarques le plan de reprise d’activité de l’UBO.
Quelles leçons le président d’université tire-t-il de cet épisode ?
dans ces circonstances, une valeur telle que le service public aura donné à tous une énergie considérable.
Il est bien trop tôt pour le dire, nous manquons de recul et, contrairement à d’autres, j’ai pris soin de ne pas avancer des propos qui seraient démentis quelques heures plus tard. Ceci étant, les universités, qu’on caricature parfois comme de vieilles et lourdes institutions, et leurs personnels, qu’on décrit à tort dans certains cercles, comme routiniers, auront montré leur extraordinaire « agilité » comme on dit précisément dans ces mêmes cercles. Et dans ces circonstances, une valeur telle que le service public aura donné à tous une énergie considérable.
Plus généralement, l’homme se confronte aujourd’hui concrètement à ce que l’on présente habituellement comme un exemple de la théorie du chaos : ce n’est pas un battement d’aile de papillon qui a provoqué un ouragan, c’est (apparemment) un autre petit animal qui a plongé toute la planète dans l’inconnu et dans la crise.
Illustrations
Matthieu Gallou – DR
© Viditu et © Kergourlay