Monique Argoualc'h a mis au service d'élèves décrocheurs sa passion pour le numérique à travers des projets intergénérationnels. Une telle pédagogie du projet favorise les apprentissages et le « vivre ensemble », sans reproduire le contexte « disciplinaire » qui a mené ces élèves au décrochage.
La version intégrale de l’entretien avec Monique Argoualc’h, professeure en classe relai au sein du dispositif Relai rive droite de Brest, entretien paru dans Profession Éducation, le mensuel du Sgen-CFDT, n° 238 (juin-juillet-août 2015).
Monique Argoualc’h fait partie de ces profs innovants, plusieurs fois primés, dont nous avons découvert les travaux sur les réseaux sociaux – cette grande salle des maitres collaborative. Enseignante en section d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa), puis en classe relai, Monique Argoualc’h a mis au service d’élèves décrocheurs sa passion pour le numérique à travers des projets intergénérationnels. Une telle pédagogie du projet favorise les apprentissages et le « vivre ensemble », sans reproduire le contexte « disciplinaire » qui a mené ces élèves au décrochage.
Vous êtes enseignante en classe relai, à Brest. Pouvez-vous nous présenter ce dispositif ?
Je suis enseignante en classe relai depuis 2002, après avoir enseigné en Segpa. La classe relai est un dispositif proposé à des collégiens en rejet de l’École, absentéistes ou décrocheurs, souvent élèves perturbateurs ou « décrocheurs silencieux ». Dans le dispositif relai de Brest, les élèves partagent leur temps entre leur classe au collège et deux demi-journées par semaine en classe relai, encadrés en petit groupe, avec le soutien d’éducateurs. Une pédagogie de projet, telle que je la pratiquais déjà en Segpa, me semblait tout naturellement bien plus opportune qu’une organisation disciplinaire reproduisant le même contexte et les mêmes difficultés. L’objectif est de redonner à chacun le gout de l’École et l’estime de soi, et de transformer tous les freins en leviers, par l’intermédiaire de projets moteurs.
Intergénér@tions
En 2003, vous avez créé le projet Intergénér@tions. En quoi consiste-t-il ?
J’étais depuis longtemps persuadée que le numérique allait bouleverser le monde de l’éducation. Parallèlement, je m’interrogeais sur la place des personnes âgées dans une société numérique, et redoutais leur mise à l’écart. Chaque année, la ville de Brest lance un appel à projets pour lutter contre la fracture et l’isolement numériques. Tout naturellement, m’est venue l’idée de mettre en lien des jeunes en difficulté et des personnes âgées, au moyen d’un projet utilisant le numérique et les nouvelles technologies. C’est ainsi que j’ai créé les ateliers Intergénér@tions, dans lesquels les jeunes deviennent formateurs de personnes âgées dans l’usage du numérique. Les ateliers ont lieu deux fois par semaine. Chaque élève anime un atelier hebdomadaire, composé de quatre élèves et de douze personnes âgées (résidents de l’Ehpad Louise le Roux, jeunes retraités, voisins…). Dans le cadre de la politique publique numérique de la ville, un Papi (point d’accès public à Internet) a été installé dans la résidence avec sept ordinateurs. Les élèves prennent en charge l’apprentissage des personnes âgées, ainsi que l’évaluation des compétences acquises. Ils ont réalisé des brevets, qu’ils font passer, et organisent ensuite la remise officielle des diplômes.
Nao et Louise
Cette année, vous avez construit le projet « Nao et Louise ». Comment Nao, le robot humanoïde, peut-il être un atout pour la pédagogie ?
J’ai été fascinée par le potentiel de ce petit robot que j’ai découvert en 2012 au salon Éducatice. Nous avons pu l’acquérir grâce à 4 000 euros gagnés à un prix, et à l’appel à projets de la ville de Brest. Pour savoir comment intégrer Nao au dispositif relai, nous avons travaillé en collaboration avec les étudiants de Télécom Bretagne, avec qui nous avions déjà conçu l’application « Papi Launcher », permettant l’utilisation de tablettes tactiles par les personnes âgées. Étudiants, élèves et personnes âgées ont ainsi imaginé comment Nao pourrait améliorer le quotidien des personnes en perte d’autonomie. Nao a donc été programmé pour être « Nao relationnel », et permettre d’entrer en communication, par l’envoi d’un mail prédéfini, à un proche repéré sur une photographie.
Quel est le bénéfice de ces deux projets numériques pour vos élèves décrocheurs ?
Le transfert qui s’opère est très positif. D’un côté, les jeunes se sentent valorisés en devenant « professeurs », et se sensibilisent au grand âge et à la perte d’autonomie. Certains tissent de nouveaux liens avec leurs grands-parents. De l’autre, les personnes âgées sont très fières d’apprendre et d’avoir encore un rôle social dans l’éducation des jeunes.
Certaines retrouvent même de l’autonomie pour être prêtes à l’heure à l’atelier ! Les élèves reprennent le gout d’écrire, car nous communiquons pour informer, pour expliquer. Tout a du sens. Ils apprennent également à coder, à créer, à partager, à collaborer, pour être acteurs des technologies numériques, et non utilisateurs passifs. Pour affiner leurs compétences, ils répondent aux défis lancés par les étudiants de Télécom Bretagne. Ils développent des savoir-être essentiels en prenant la parole en public, avec des codes de bonne conduite. Ils vont également dans leur classe de collège présenter une activité avec Nao, et se trouvent valorisés. Ils continuent à échanger entre pairs sur les réseaux sociaux. Quant aux parents, qui sont également associés, ils sortent du schéma élève décrocheur / mauvais parent. Ces deux expériences mettent en évidence l’utilité sociale des projets multipartenariaux.
Vous êtes une enseignante innovante, souvent primée. Quelles sont vos motivations pour innover ?
Pour moi, l’innovation, c’est s’interroger en permanence sur ses pratiques, c’est oser en inventer de nouvelles pour permettre une entrée réussie des élèves dans les apprentissages. Le fonctionnement actuel de notre système éducatif est révolu. Les cours magistraux descendants ont vécu, il faut faire autrement. Tous les enfants doivent être heureux à l’École, et le potentiel de chacun, mis en valeur. Les réseaux sociaux constituent une salle des professeurs extraordinaire et permettent de collaborer, partager, communiquer, et d’utiliser le travail des autres en le faisant évoluer.
POUR ALLER PLUS LOIN
Profs à Brest : Plateforme collaborative des enseignants de Brest
Monique Argoualc’h
- son site : des infos sur ses pratiques enseignantes en classe relai, des articles de collègues, des liens sur le décrochage scolaire et sur les « décroché-es » de l’École…
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