Le témoignage de Michel Faure, correspondant académique des personnels de direction du Sgen-CFDT Grenoble (1) est une prise de parole exceptionnelle, un signal d'alerte qui dépasse de très loin la défense d'intérêts catégoriels aussi justifiée qu'elle pourrait être par ailleurs.
Je tiens avant tout propos à remercier les personnels qui ont permis collectivement d’assurer la continuité pédagogique pendant le confinement et les différentes phases de déconfinement. Il s’agit bien sûr des professeurs mais tout autant des assistants d’éducation et des CPE, des accompagnants des enfants en situation de handicap, des personnels du social et de la santé, des personnels administratifs, des psychologues mais également les personnels des services déconcentrés.
Remercier tout autant les personnels des collectivités territoriales qui, quand ils y ont été autorisés, ont su nous garantir des conditions de travail sécurisés.
Féliciter enfin les parents et tous ceux qui ont pu assister nos élèves qui du fait de la distance et malgré tout notre engagement et le recours au numérique ne pouvaient être accompagnés par les professeurs avec la même efficience qu’à l’accoutumée.
Si du point de vue des élèves et des parents, il a pu y avoir des insatisfactions, des impatiences, de l’information tardive, des impossibilités réelle aussi d’accueillir tous les enfants, cela n’est pas du fait des professionnels qui ont fait preuve d’initiative et d’adaptation. C’est bien au contraire leur engagement et leur implication qu’il faut saluer.
Je voudrais aussi avoir une pensée pour celles et ceux qui ont eu un proche touché par ce coronavirus et assurer de mon soutien celles et ceux qui ont ou vont subir les conséquences économiques de cette drôle de période.
Le Sgen est un syndicat de la CFDT c’est donc tout naturellement qu’il est et sera solidaire de tous les travailleurs qui ont à subir les conséquences du confinement.
Alors qu’il nous faut solidairement faire face à de grands désordres, mon propos sur les personnels de direction pourrait paraître dérisoire s’il ne s’agissait pas au final de l’intérêt des enfants, s’il ne s’agissait pas de défendre le service public d’éducation. Cela pourrait même paraître n’être que jérémiades aux yeux de certains, je veux leur assurer qu’il n’en est rien. Mes prises de paroles publiques sont exceptionnelles, il faut donc y voir un signal d’alerte qui dépasse de très loin la défense d’intérêts catégoriels aussi justifiée qu’elle pourrait être par ailleurs.
Un temps politique déphasé et c’est l’École qui s’en trouve maltraitée et les professionnels et les usagers qui en pâtissent.
Nous sommes le 6 Juillet et force est de constater que la circulaire de rentrée n’a toujours pas été publiée. La rédaction de cette circulaire est d’ordinaire un exercice formel car les personnels de direction n’attendent pas ce texte pour organiser leur travail et mettent à profit les fins d’année scolaires et la pause estivale pour se concerter et planifier le travail de l’année suivante.
Dans les conditions très particulières de cette rentrée qui fait suite à un confinement puis à différentes phases de déconfinement, des mises au point étaient attendues.
La circulaire de rentrée pour qu’elle ait une utilité devrait définir clairement quelques grandes orientations et scénarii et laisser le maximum de moyens et de marges aux équipes pour les mettre en œuvre.
Par exemple comment est-il prévu de tirer les enseignements positifs de cette situation inédite de confinement ? De nombreux témoignages spontanés rapportent que de nouvelles compétences moins académiques, moins scolaires ont été mobilisées par les élèves. Ne gâchons pas cela, il nous faut apprendre à les repérer et à les valoriser quitte à dépoussiérer nos référentiels actuels.
Et s’il est utile de ressortir nos outils de mesure et de réponse au décrochage, il faut les adapter car ils sont conçus pour des processus longs différents de ce qui s’est opéré ces dernières semaines.
Mais nous ne savons rien. Le remaniement ministériel a pris le pas sur le principe de continuité de service dû à l’usager. Cette parution retardée aura empêché les équipes de direction, les équipes enseignantes et éducatives, en cette fin d’année, de se saisir collectivement de ces questions. Au final, les personnels de direction seront enjoints de la mettre en œuvre dans une impréparation qu’ils subiront faute de temps.
Quand le JT se substitue au JO : une communication politique de plus en plus médiatisée et qui ne se contente pas de précéder les directives officielles mais s’y substituent.
Deux exemples : phase 3 du déconfinement et localisation des E3C
C’est en n’écoutant pas leur Ministre qui s’exprimait sur RTL le 1er juillet que les personnels de direction n’ont pas appris que les épreuves communes de contrôle continue du BAC 2021 devenaient des évaluations communes à orchestrer au niveau de l’établissement… Des évaluations « localisées » qui de ce fait leur confiait des responsabilités plus importantes. Nous n’y sommes pas opposés si cela permet une organisation plus fluide et des évaluations progressives mais depuis cette annonce médiatique, nous n’avons rien appris ni de notre autorité académique ni du Ministère.
Heureusement comme les lycéens sont à distance, nos collègues échappent au flot de questions auxquels ils ne pourraient répondre que par des sourires polis et ignorants. Ils échappent au ridicule car personne ne les croit quand ils disent qu’ils n’en savent pas plus que ce qui a été dit à la radio !
C’est en écoutant le Président de la république le 14 juin – comme 23,6 millions de français – que les uns ont appris qu’ils ne reverraient par les lycéens quand les autres apprenaient que tous les collégiens allaient enfin pouvoir être accueillis. Cette fois le lendemain, ils ont reçu un clip vidéo de leur Ministre adressé aux professeurs et autres personnels reprenant ni plus ni moins les annonces présidentielles et leur annonçant pour le jour même ou le lendemain le protocole qui allait encadrer cette reprise. Outre le fait que les principaux responsables de la mise en œuvre de la sécurité, les personnels de direction devraient se contenter d’être considérés par leur Ministre comme faisant partie des « autres personnels » puisque celui-ci n’avait pas pris la peine ni de leur parler, ni de leur écrire, ils étaient empêchés de penser la structuration des nouvelles conditions d’enseignement et d’accueil faute de consignes sanitaires claires.
Si nous comprenons fort bien que devant l’urgence de santé publique nous pouvons apprendre en même temps que tous les citoyens l’ordre de confinement et nous y engager sans compter, à contrario le retour à l’école ne relevait pas d’une même situation d’urgence et la communication concernant le déconfinement aurait pu être d’une autre nature. Si nous connaissons le mode de communication hiérarchique, à savoir que le Président s’exprime, ensuite le ministre, ensuite le Recteur, parfois le Dasen et qu’il ne peut en être autrement. Néanmoins, quand le Président fait une annonce qui doit prendre effet à 7 jours et que le déroulé de cette chaîne hiérarchique en prend 3, sur une semaine de travail il ne reste plus que 2 jours au dernier maillon que nous sommes pour comprendre, expliquer, partager, organiser et communiquer. C’est bien sûr insuffisant et c’est au prix de journées de 13h et d’un WE travaillé que cela finalement adviendra sans que l’on se soucie d’en mesurer les dommages.
Ces consignes tardives, mouvantes, contradictoires, voire inapplicables qui font perdre le sens de l’action publique, et mettent en tension les acteurs entre eux ou chacun d’eux avec ses propres valeurs ; tout cela est générateur de stress, de fatigue psychique et de burn-out.
Ce fameux 14 juin, quelques personnels de direction, de la vieille école sans doute, qui se rappelaient le temps où le cadrage institutionnel passait par la publication de textes officiels au Journal officiel (J.O.), ont eu la bonne surprise en s’y référant de découvrir un Décret interministériel qui consacrait deux lignes à la modification des règles de l’accueil à l’école et au collège.
Les uns avaient le J.O., et sur cette maigre base ont commencé à envisager des sénarii d’accueil à la fois ravis d’un quasi retour à la normal et aussi très inquiets de voir se mélanger tout le monde et d’en être responsables.
Les autres n’avaient que le J.T. (journal télévisé) et attendaient comme la sœur Anne de Perrault le nouveau Protocole.
Ce n’est que le mercredi en fin d’après-midi qu’ils avaient enfin des instructions des rectorats sous la forme d’un nouveau protocole. Devant l’urgence, ils se mettaient au travail sans attendre pour découvrir le lendemain matin en allumant leur ordinateur qu’un nouveau Protocole leur avait été envoyé la veille au soir ; protocole qui modifiait ce qu’ils avaient déjà prévu et éventuellement communiqué aux professionnels et usagers de leur établissement. Il leur restait deux jours – voire 4 jours, si l’on se met à considérer que le travail 7 jours sur 7 est la norme – pour revoir leur copie et revenir sur leur communication en passant une fois de plus pour des amateurs et en perdant au passage quelques parents qui n’y comprenaient plus rien.
Un exemple plus récent encore de consignes tardives et de ce fait difficilement applicables. Le jeudi 2 juillet à 18h15 sont transmis aux lycées leur dotation en moyens ainsi que quelques directives contraignantes pour définir leur structure pédagogique pour 2020-21. Une réponse est attendue le 6 juillet matin. Là encore considère-t-on en l’absence de toute connaissance de la réalité du terrain que le vendredi 3 suffit à faire ce travail et qu’il n’y avait pas de réunions d’équipes à mener au dernier jour de l’année scolaire ou bien serait-ce qu’il faudrait travailler les samedis et dimanches comme ce fut le cas les WE précédents pour remonter les notes de contrôles continus avec une multitude d’ordres, contre-ordres et désordres (Si pour le BAC GT les consignes étaient à peu près clairs et donc aisément opérationnalisables, pour les BAC pro les livrets à renseigner étaient d’une lourdeur et d’une complexité telles qu’il a fallu travailler nuitamment et le WE, sans plus de reconnaissance.)
Une confiance qui ne peut pas seulement s’énoncer mais qui doit pouvoir s’éprouver
Il ne suffit pas d’ordonner et de contrôler, de mettre les personnels de direction en tension et ensuite de leur dire qu’on les remercie ou plus hypocritement qu’on leur fait confiance.
Il faut les écouter, mais aussi les entendre. Ils souhaitent servir avec loyauté mais aussi avec intelligence. Ils ont besoin que soit reconnu et encouragé leur capacité d’innovation, d’imagination, leur capacité de voir de manière plus contextualisée la problématique et d’y apporter des réponses locales, éthiques et équitables.
Ils ont besoin de confiance accordée et de confiance en soi, de latitude pour s’exprimer et agir.
Ils ne peuvent être de bons serviteurs de l’Etat si on se contente de les nourrir de prescriptions et d’injonctions. Ils ont besoin de comprendre le sens de la politique publique à laquelle ils doivent contribuer, mieux encore d’être associés à sa construction.
Les personnels de direction ne peuvent être réduits à un grade dans une chaîne hiérarchique, à un fusible dans une chaîne de commandement, ils serviront d’autant mieux l’Ecole de la République qu’ils seront reconnus tout à la fois comme individus, comme sujets et comme acteurs.
Les études sur le stress professionnel constatent que depuis une trentaine d’année celui-ci augmente de manière alarmante. On en connaît les causes[2] : les changements organisationnels, les incertitudes, les injonctions paradoxales, la surcharge de travail, la pression sur les délais, le sentiment de responsabilité allant de pair avec le manque de reconnaissance, les relations tendues avec la hiérarchie.
Soit à peu près tout ce que l’on vient de décrire de ce que vivent en ce moment les personnels de direction.
Plus que la situation particulière de ces cadres intermédiaires, c’est sans doute l’épuisement du modèle de pilotage par les procédures définies nationalement qu’il faut analyser et revoir.
Cette année 2019-2020 a confirmé l’épuisement de ce modèle de pilotage qui non seulement ne garantit pas l’égalité républicaine mais de plus se révèle très peu résilient face aux crises. S’il y a une inflexion à attendre de l’après-crise, elle est bien à ce niveau-là.
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(1) Le Sgen-CFDT est l’une des trois organisations syndicales des personnels de direction de l’académie de Grenoble. Les personnels au nom desquels je m’exprime ici sont des cadres plus connues sous les titres de Principal, Principal adjoint (en collège), Proviseur, Proviseur adjoint (en lycée), Directeur d’EREA, Directeur adjoint d’EREA, Directeur de CIO.
Le Sgen-CFDT a la particularité d’être un syndicat général qui syndique toutes les catégories de personnels exerçant dans les écoles, collèges, lycées, les services centraux ou décentralisés du Ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et la recherche publique, ainsi que les agents de Jeunesse et Sports, de l’Enseignement Agricole Public et des CROUS.
(2) Les situations faisant naître le stress au travail, citées ici sont de Nathalie Teissier, enseignant-Chercheur, et Responsable de la majeure Management Stratégique des RH à l’Esdes Université Catholique de Lyon