Les écoles agronomiques doivent-elles se regrouper ou bien s'engager dans une implantation locale ?
Un enseignement à l’écoute de la demande sociale
Historiquement les grandes restructurations de l’enseignement et de la recherche agronomique ont toujours été finalisées par une évolution de la demande sociale. Après la seconde guerre mondiale, l’impérieuse nécessité d’accomplir une véritable révolution agricole pour faire face à la demande sociale relative à l’alimentation a conduit à une réorganisation de la recherche agronomique, marquée par la création de l’INRA (loi du 18 Mai 1946), et à une restructuration de l’enseignement supérieur agronomique, marquée par la mise en place du diplôme d’ingénieur agronome (décret du 20 juin 1961 en application de la loi d’orientation agricole du 2 août 1960). Aujourd’hui, face à la convergence de défis considérables – croissance démographique, vieillissement, urbanisation des modes de vie, transformation digitale, transition nutritionnelle, crise sanitaire, dérèglement climatique, transitions énergétique et écologique –, et face à la demande croissante d’innovations – scientifiques, techniques, organisationnelles et sociales – se pose la question d’une actualisation de l’organisation de l’enseignement et de la recherche agronomique.
Le triangle de la connaissance
Pour renforcer leur capacité d’innovation, l’enseignement et la recherche agronomique doivent s’insérer activement dans des réseaux comprenant des universités, d’autres instituts de recherche, et des entreprises, ce que l’Institut Européen de l’Innovation de la Technologie (EIT, qui est un organe européen indépendant) appelle le « triangle de la connaissance ». C’est pourquoi il est essentiel que les écoles et la recherche agronomique contribuent à l’émergence de quelques grandes universités engagées sur les thématiques agronomiques, alimentaires et vétérinaires, à l’image de ce qui existe à l’étranger, tout en maintenant des relations privilégiées avec les entreprises de leur secteur d’activité et les responsables politiques de leur territoire. Pour cela, la formation professionnelle est l’un des leviers les plus efficaces de diffusion des connaissances, et les étudiants sont des agents privilégiés des interactions entre chercheurs et acteurs socio-économiques dans toute leur diversité (notamment à travers le Système National d’Appui à l’enseignement technique agricole).
L’intégration d’AgroParisTech à l’Université Paris-Saclay est conforme à cette stratégie, mais la fusion entre AgroCampus-Ouest (ACO) et MontpellierSupAgro (MSA) cherche à la contourner, au risque de fragiliser ces deux écoles, mais aussi les autres établissements sous tutelle du ministère de l’agriculture. D’ailleurs, début juillet, le ministère sous pression de Matignon qui avance les mêmes arguments que cet article semble faire marche arrière et retirer son projet de fusion. L’éventuel projet de fusion ACO-MSA conduirait au mieux à un renforcement de l’administration centrale de l’établissement et à une sanctuarisation de l’enseignement professionnel, au détriment du développement de la recherche-innovation, privée de ses relais de développement locaux. Pour paraphraser le livre III du Metalogicon (1159) , en nous plaçant dans la posture d’un nain grimpant sur les épaules de géants universitaires, « nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, mais ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes plus élevés par eux ». En revanche, en nous plaçant dans la posture d’un nain grimpant sur les épaules d’un autre nain, lui-même en équilibre instable, nous ne tirerons à l’évidence qu’un avantage très limité de l’effort consenti…
Arbitrer entre la recherche et l’enseignement professionnel
Faire le choix de développer des écoles de recherche susceptibles d’offrir des enseignements répondant aux nouveaux défis sociétaux, et pas uniquement aux besoins professionnels actuels, suppose un développement important de la recherche et de profondes innovations pédagogiques. Une part de cet effort pourrait être assumée par une intégration plus forte du nouvel institut issu de la fusion INRA-IRSTEA dans les politiques de site, mais une part complémentaire devra être assumée par les écoles elle-même, qui devront notamment réorganiser leurs UMR et leurs enseignements. Si le ministère de l’agriculture et de l’alimentation (MAA) veut aller dans cette direction, il doit approfondir son projet, en évaluer les coûts et identifier les moyens de financer les investissements nécessaires. Dans le cas contraire, il devra renoncer à l’objectif de création de nouvelles écoles de recherche, et en revenir à des écoles professionnelles, c’est-à-dire dont les enseignements pourraient être assurés par des enseignants recrutés parmi des professionnels.
Dialogue et co-construction nécessaire
Compte-tenu de la complexité des enjeux et du nombre d’acteurs en interaction avec les écoles (ComUE, Régions, Entreprises et Acteurs des territoires), la méthode de travail et le calendrier retenu par le MAA ne peuvent que susciter le scepticisme et l’inquiétude des personnels. Pour accompagner cette restructuration inédite d’établissements positionnés sur des territoires éloignés, la mise en place d’espaces de dialogue, comme outil d’accompagnement des transformations nécessaires, paraît indispensable, non seulement pour réduire les risques de mal-être au travail mais aussi pour associer les personnels et les étudiants à la construction d’une organisation nouvelle. Sans dialogue ni co-construction avec les personnels et les étudiants d’un projet argumenté, toutes les tentatives de restructuration des écoles susciteront de fortes résistances internes, et au final conduiront à une dégradation du service rendu.