Nous voyons ces dernières années, plusieurs types de missions et de « temps » de travail se côtoyer, se cumuler. Nous posons un début d’hypothèses, à partir de nos observations, sur les adaptations possibles des enseignants face à ces données.
Les missions inhérentes à nos métiers d’enseignants
Nous voyons, ces dernières années, plusieurs types de missions et de « temps » de travail se côtoyer, se cumuler. Nous pouvons citer entre autres :
Des sollicitations administratives pour évaluer, justifier, projeter, renseigner…
Ces missions s’inscrivent dans un souci d’anticiper des besoins, de répondre à des projets spécifiques, de rendre compte d’évaluations, de coordonner les actions…
Ces sollicitations émanant de l’école, de l’établissement ou du ministère, tendent à s’accentuer.
Sur le terrain, elles sont souvent vécues comme très descendantes, chronophages, pesantes, voire inutiles, ou même contre-productives par les personnels.
Des missions liées à la dynamique de l’établissement
Conseil d’administration, commission, coordo, Professeur Principal… ces missions ne sont pas toutes rémunérées, et n’occasionnent pas de décharge horaire. Cela a été possible un temps pour la coordination par exemple.
Elles relèvent du volontariat, mais s’inscrivent dans une obligation collective. Les choix sont donc parfois contraints pour les enseignants.
Des attendus en lien avec des thématiques éducatives et sociétales
Ces fameuses » éducation à… » le numérique, la sécu routière, les premiers secours… , la culture, le développement durable… : elles peuvent se décliner en actions ponctuelles dans les classes, souvent « en plus des programmes ».
Elles peuvent aussi se développer de façon volontaire pour les enseignants comme les élèves, sur des temps fléchés en plus de la classe, dans des ateliers, des clubs.
Des missions pour compenser, réparer, raccrocher les décrocheurs, orienter les raccrochés fébriles, innover pour redonner du sens…
La majeure partie de ces missions se joue hors la classe avec des groupes d’élèves restreints et fléchés, encadrés par des enseignants le plus souvent volontaires et rémunérés.
Elles se développent massivement au regard de la diversité des profils d’élèves.
Les missions plus connues, liées à temps de classes (préparation, animation, concertation)
Les temps de face-à-face élèves, en groupes classe complets, restent l’architecture de l’emploi du temps ; lieu d’apprentissage et de socialisation pour toutes et tous, dans la rencontre de savoirs communs et de l’altérité.
Ces temps de classe ne sont que peu soutenus. Peu de moyens sont déployés pour répondre à cette hétérogénéité dans des groupes souvent conséquents.
Des difficultés sont fréquemment mentionnées en lien avec le climat de classe, la différentiation, la prise en compte de besoins très spécifiques… Les besoins s’expriment notamment en lien avec le nombre d’élèves par classe, le nombre de classes à suivre, le taux d’encadrement, la facilitation pour monter des projets, le temps nécessaire pour un travail collectif, etc. Le manque de sens et la fatigue au sein même des cours, tendent à s’accentuer pour les enseignants, comme pour les élèves.
Des réactions d’adaptation des enseignants pour vivre « au mieux » l’articulation, et/ou l’empilement de ces missions
Nous posons un début d’hypothèses, à partir de nos observations, sur les adaptations possibles des enseignants face à ces données. Les catégories proposées sont forcément partielles et des recoupements de stratégies sont évidemment de mise sur le terrain.
La définition du sens du travail apportée par Dejours (1993) : utilité, éthique, monté en compétence, nous apporte quelques éléments d’analyse.
« On s’accroche, on insiste, on innove dans ses classes »
Dans ses classes, on tente de faire évoluer ses pratiques, de se former à l’extérieur, de faire face aux difficultés, d’organiser des voyages ou des projets classe… seul ou avec un collectif selon les établissements, ou dans d’autres collectifs pédagogiques.
Ce choix peut être ressourçant, et relancer les équipes et/ou des collègues en répondant à un besoin de sens. Il est aussi énergivore et peu soutenu (ni en temps – ni en argent, ni en co-intervention…, excepté en REP+ et un peu en REP). L’épuisement peut survenir après quelques années.
« On insiste dans ses classes et on explore à côté »
On s’accroche comme on peut en cours sans lâcher l’objectif d’améliorer ses pratiques en classe. Mais on cherche aussi le sens, et l’élan pour les nourrir dans d’autres espaces-temps davantage porteurs à nos yeux de sens, offrant de meilleures conditions d’encadrement.
Il peut s’agir d’investissement dans des clubs, des ateliers, des partenariats, développement durables, pratiques artistiques, maths en jean, club japonais, AS…
Espaces-temps plus ou moins reconnus, souvent en plus du service (sauf Association Sportive), qui relancent les enseignants (innovations, nouveaux champs de compétences, moins de pressions, relations plus apaisées avec les jeunes, temporalité longue…), voire les élèves (relations différentes avec l’adulte, inter-générations, choix, réalisations manuelles, expressions orales…).
Il peut y avoir des répercussions positives ensuite dans la classe en termes d’innovation et de relations. Mais là encore, cet engagement, s’ajoutant aux autres missions, est chronophage et un essoufflement est possible à court ou moyen terme.
Ces mêmes collègues (des deux premières « catégories ») investissent aussi parfois d’autres missions liées à la dynamique de l’établissement : CA, commission, coordo, Prof Principal… Missions là encore chronophages, et pas forcément très bien rémunérées, sans possibilité de décharge.
« On maintient ses classes, et on investit d’autres missions, notamment celles les mieux rémunérées »
On s’investit dans nos classes avec plus ou moins d’élan et on va chercher d’autres missions mieux rémunérées, en lien direct ou non avec les élèves de nos classes. Ces missions sont souvent moins chronophages et sont bornées – quoique pour certaines, la charge ne cesse de s’élever (ex : devoirs faits, remplacement, numérique…).
Ces autres missions peuvent se révéler porteuses de sens, notamment si elles s’inscrivent dans un collectif (groupe décrochages…).
Elles peuvent être en accord avec mon sentiment d’utilité, avec mon éthique, et/ou me permettent de gagner en compétences. Mais si ce n’est pas le cas, tant pis. On est prêt à les assumer pour élever son niveau de vie. Pour les assumer, il faut, là encore, être capable (en lien avec ses propres limites, son contexte de vie familial, etc), de pouvoir cumuler ces tâches, surtout si l’on ne veut pas « lâcher » l’engagement dans les classes.
« On maintient ses classes, et on ne se sent pas redevable de plus envers l’institution »
On s’accroche comme on peut dans la classe avec plus ou moins d’élan. On le fait parfois très bien, en se dégageant d’un enjeu affectif ressenti comme trop fort envers l’institution. Et on ne s’investit pas davantage dans le travail de l’établissement.
On ne se sent plus obligé de répondre aux attendus administratifs qui perdent sens tant ils s’accumulent et fluctuent. Ni de s’épuiser dans les missions autres que celle du face-à-face en classe, car les moyens ne permettent plus de les vivre pleinement.
On se construit, individuellement ou collectivement, dans d’autres espaces-temps ailleurs, dans nos vies, voire dans d’autres missions de travail, mais hors établissement, avec moins de pression.
Parfois, cela redonne un élan pour réinvestir dans la classe, parfois, cela amène à d’autres projets professionnels.
Les mesures récentes viennent renforcer certains choix
Les récentes mesures viennent formaliser l’équation, missions supplémentaires pour salaire supplémentaire.
L’évolution générale vient ainsi accentuer les écarts de moyens alloués aux initiatives dans la classe au profit de celles initiées hors la classe.
Ces deux paramètres qui tendent à s’installer vont probablement avoir un impact dans les adaptations des enseignants dans leur métier.