Un rapport d’information a été produit pour le Sénateur Michel BERSON au nom de la commission des finances, portant sur l’Agence nationale de la recherche (ANR) et le financement de la recherche sur projets. Lecture et analyse du Sgen-CFDT.
Avant d’en analyser les points saillants en les mettant en perspective avec nos positions prises en la matière, rappelons ce qu’est cette agence.
L’ANR organise en France depuis 2005 le financement de la recherche dite « sur projet », assurant ainsi aux chercheurs une part des ressources nécessaires au développement de leurs laboratoires et de leurs actions. Sa principale mission consiste à organiser des appels à projets mis en compétition, sur la base d’une évaluation par les pairs. La politique de l’ANR estime que la recherche sur projets est la voie à suivre pour renforcer la compétitivité du système de recherche d’un pays. Les travaux des chercheurs sont ainsi orientés sur les grands enjeux scientifiques et sociétaux, de manière ciblée, avec pour objectif affiché de favoriser les collaborations entre équipes issues d’institutions différentes.
Où en est-on en 2017 de ces financements ?
Le rapport indique que les ressources humaines et le budget de fonctionnement de l’agence sont en train de se stabiliser après une période de croissance très rapide, mais il déplore malgré cela le manque de moyens alloués par l’État ainsi que l’effet délétère provoqué par ce phénomène dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Des moyens insuffisants
Le premier constat établi par le rapporteur Berson tient dans le manque de moyens de l’ANR : « ses crédits d’intervention répartis par appels à projets ont diminué de – 40 % en sept ans, passant de 650 millions d’euros en 2009, à 390 millions d’euros en 2015 avant de remonter à 457 millions d’euros en 2016 » (p. 11). Les crédits confiés à cette Agence de moyens sont jugés « notoirement » (p. 37) insuffisants dans le rapport, ce qui induirait une incohérence dans la manière dont elle répartit les financements, le taux de sélection étant tellement bas qu’il « ne permettait pas de sélectionner 40 % des projets notés A+, c’est-à-dire de projets considérés comme étant d’une qualité exceptionnelle » (p. 45).
Le Sgen-CFDT s’est également exprimé sur ce problème de répartition des fonds ANR, et sur ses montants insuffisants « en chute libre », qui mettent les territoires en concurrence et créent alors « des frustrations toujours plus fortes chez les collègues ».
Découragement des porteurs de projets
Le rapport associe aussi cette baisse de candidatures aux projets ANR à l’émergence d’une forme de découragement chez les chercheurs, voire de « défiance » face à « une programmation trop complexe [qui] peut susciter de profondes incompréhensions (…) vis-à-vis d’une institution perçue comme trop technocratique et bureaucratique » (p. 70) : « le nombre de projets déposés par les chercheurs n’a fait que croître, provoquant un redoutable effet ciseau : alors que 22 % des projets déposés bénéficiaient de financements de l’ANR en 2009, ce taux est tombé à 11 % en 2014 et 2015 avant de remonter légèrement à 15 % en 2016. Cela signifie donc que d’excellents projets ne sont pas retenus» (p. 11). Le taux de sélection des projets a donc plongé de 25,7 % en 2005 à 11 % en 2015 ! Il remonte actuellement mais reste très inférieur au taux de 20 %-25 % de sélection jugé raisonnable par les scientifiques du monde entier. La seule manière d’inverser vraiment cette tendance serait « qu’une hausse résolue des crédits d’intervention de l’ANR » intervienne (p. 11), ce qui est le cas dans le budget 2018 de l’ESR puisqu’est actée une hausse « d’au moins 5 % en vue de restaurer le plus rapidement possible des taux de succès plus élevés » pour les projets ANR. L’essentiel de cette augmentation portera sur l’appel à projets générique.
De son côté, le Sgen-CFDT rappelle aussi régulièrement ce sentiment de découragement et de « désillusion » éprouvé du côté des chercheurs, qui ne comprennent parfois pas très clairement la ligne gouvernementale en matière de recherche.
Recommandations
Des réorganisations de deux types sont proposées. Un premier niveau financier mériterait selon le rapport d’être réformé, en établissant une feuille de route budgétaire annuelle (appelée « plan d’action ») obéissant à une architecture moins complexe pour présenter les possibilités de projets offertes par l’agence. Un second niveau de réforme touche à la gouvernance de l’ANR qui n’inclut pas suffisamment toutes les parties prenantes selon l’auteur du rapport, qui précise toutefois qu’elle est en voie de stabilisation grâce à un contrat d’objectifs et de moyens efficace adopté en 2011.
Il est indispensable de permettre à l’ANR de retrouver d’ici 2020 au plus tard son niveau de crédits d’intervention répartis par appels à projets compétitifs de 2009, soit 650 millions d’euros.
Modification du plan d’action financier
Un travail est engagé avec l’ensemble des communautés scientifiques pour l’élaboration et la mise en œuvre du plan d’action annuel de l’ANR plus court et plus clair, plus lisible et moins technocratique : les priorités de recherche, les instruments de financement mis à disposition des chercheurs, doivent être immédiatement compréhensibles.
Actuellement, 4 composantes transversales existent, chacune dotée d’un budget propre et d’instruments de financement dédiés :
- Grands défis sociétaux ;
- Aux frontières de la recherche ;
- Construction de l’espace européen de la recherche (EER) et attractivité internationale de la France ;
- Impact économique de la recherche et compétitivité. Ce plan souffrirait d’une absence de concordance parfaite avec la stratégie nationale de recherche, qu’il a pourtant vocation à mettre en œuvre.
Un « comité de pilotage scientifique (CPS) [en] est l’instance de réflexion » (p. 57). Le rapport recommande avant tout une hausse du budget ANR, afin de faire remonter la France qui se situe en la matière en deçà de la moyenne de l’OCDE. Il est indispensable, poursuit l’auteur, de permettre à l’ANR de retrouver d’ici 2020 au plus tard son niveau de crédits d’intervention répartis par appels à projets compétitifs de 2009, soit 650 millions d’euros, ce qui correspondrait à un budget total de 850 millions d’euros de crédits d’intervention pour l’agence. Le texte va jusqu’à préciser que « si l’ANR devait voir ses moyens stagner à un niveau similaire à celui qu’elle a connu ces dernières années, la question de sa pertinence, voire de sa survie, serait posée » (p. 11). Une série de 13 recommandations plus précises est formulée, les plus significatives selon nous étant : « Recommandation n° 1 : rétablir un indicateur mesurant l’évolution des parts respectives du financement de la recherche sur projets et du financement récurrent des organismes de recherche et des universités. Recommandation n° 2 : réduire le nombre d’instruments financiers de l’Agence nationale de la recherche pour renforcer la lisibilité de son offre de financement. Recommandation n° 3 : adopter un plan d’action annuel plus court et plus clair » (pp. 8-9).
Mieux accompagner les équipes de recherche dans la construction de leurs projets.
Le Sgen-CFDT adhère à cette nécessité de développer la recherche française à l’international en donnant des moyens à l’ANR bien entendu, mais aussi en déployant des moyens pérennes dans les laboratoires au quotidien, parallèlement à ces financements d’excellence. Il s’agit par exemple pour l’ESR de pouvoir recruter des personnels afin de mieux accompagner les équipes de recherche dans la construction de leurs projets, en les aidant à renseigner les dossiers de financements internationaux parfois complexes : il convient d’inscrire cette démarche « dans un engagement financier pluriannuel pour donner aux établissements la visibilité nécessaire à la construction et la mise en œuvre d’une politique ambitieuse » (résolution de congrès Sgen-CFDT, Aix-les-Bains).
Simplification des structures
Le rapport souhaite lancer dès à présent une nouvelle évaluation de l’ANR par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), sans attendre la fin du contrat d’objectifs et de performance 2016-2019, afin que la nouvelle équipe dirigeante dispose d’un état des lieux précis et de propositions techniques directement opérationnelles (« il faut aller encore plus loin dans la simplification et l’allègement des procédures, car la charge administrative qui pèse sur les chercheurs qui déposent des projets à l’ANR reste encore trop lourde » p. 78). Elle s’est en effet vue confier d’autres missions au fil du temps, en particulier la gestion des crédits relatifs aux programmes d’investissement d’avenir, « au risque d’une certaine forme de dispersion» (p. 17).
La procédure de dépôt d’un dossier auprès de l’ANR doit selon le rapport être facilitée :
- « Recommandation n° 6 : continuer à alléger la charge administrative liée au dépôt d’un dossier » ;
- « Recommandation n° 12 : améliorer la transparence de la communication vis-à-vis des chercheurs à tous les stades des appels à projets ». Un décret adopté en 2014 a permis d’améliorer la gouvernance de l’agence, mais celle-ci peut encore gagner en simplicité et en fluidité selon le rapport.
Le Sgen-CFDT souscrit pleinement à l’idée de clarifier les structures de la recherche, de manière générale, simplification qui serait porteuse de plus d’équité entre les personnels de la recherche quel que soit leur établissement d’appartenance (université ou organisme de recherche). Nous sommes assez critiques face à la complexité de ces structures, au manque de circulation des informations en leur sein, ainsi qu’au recours à des filiales de recherche ou dispositifs d’excellence qui contournent parfois les obligations liées à l’emploi public et devraient au minimum être réformés.
Renforcement du lien recherche/ société
La recommandation n° 7 du rapport indique qu’il faudrait « poursuivre les travaux destinés à doter l’Agence nationale de la recherche d’instruments de mesure de l’impact de ses projets sur la société » (p. 17).
Le Sgen-CFDT là encore rejoint ce constat et entend voir se renforcer par exemples les partenariats entre établissements, organismes de recherche, et politiques nationales et régionales de recherche (voir les volets territoriaux des politiques de recherche).
Pour conclure sur l’ANR, le Sgen-CFDT se réjouit de l’annonce du Président de la République de passer le taux de projets reçus à l’ANR de 8 % à 14 %, mais continue de plaider l’idée de ne pas oublier les autres sources de financements pérennes pour le secteur.
Pour aller plus loin :