Redonner de l'autorité aux maitres et maitresses en leur permettant de décider du redoublement d'un.e élève, en voilà un programme pour l'éducation. C'est pourtant l'une de ces mesures passéistes qui sont proposées. Les textes proposés risquent forts de détériorer le rapport des familles.
Les textes règlementaires autour des conditions de mise en œuvre de la décision du redoublement de l’élève ont été examinés.
Destinés selon le Président de la République et le Ministère à « restaurer l’autorité du maitre » en redonnant la décision aux équipes pédagogiques sous le pilotage du directeur, de la directrice d’école, ils risquent, selon le Sgen-CFDT, de se heurter à la réalité de notre société et rendre plus conflictuelles les relations avec l’école pour les familles qui en ont pourtant le plus besoin.
Un retour du redoublement en dépit des études internationales
Pour le Ministre, le redoublement est un moyen de traiter les difficultés scolaires d’un élève afin qu’il puisse passer au niveau supérieur.
S’il peut être une solution au cas par cas, toutes les études nationales et internationales montrent son inefficacité pour résoudre l’échec scolaire et le décrochage de certains élèves. Outre le coût exorbitant de cette mesure (dénoncé par la Cour des comptes en 2010 et 2013), les études montrent que les résultats des élèves qui redoublent sont le plus souvent inférieurs, dans la suite de leur scolarité, à ceux des élèves qui avaient le même niveau et que l’on a fait passer dans la classe supérieure.
Si l’on ajoute à cela qu’un élève redoublant en CP a statistiquement moins de 10 % de chances d’avoir le baccalauréat et 50 % de chances de sortir du système scolaire sans diplôme ou qualification, cette mesure est pour le moins inefficace.
Un élève redoublant en CP a statistiquement moins de 10 % de chances d’avoir le baccalauréat et 50 % de chances de sortir du système scolaire sans diplôme ou qualification
Redoublement : un marqueur d’inégalité sociale
D’autre part, le redoublement marque une inégalité sociale. Toutes les études statistiques, le montrent, on fait en effet plus souvent redoubler des élèves de milieu modeste que des enfants de cadres. Veut-on encore une fois montrer une stigmatisation de certains enfants, certaines familles ?
Pour le Sgen-CFDT, c’est avant tout la question du parcours de l’élève et de la gestion de l’hétérogénéité dans les classes qui doit être posée. Penser que le redoublement d’élèves en difficultés permettra de retrouver une certaine homogénéité au sein des classes est illusoire. Il conviendrait de développer une formation initiale et continue autour de la gestion de l’hétérogénéité. Mais, une formation quelle qu’elle soit ne fera pas tout. La prise en charge des enfants en difficultés scolaires serait sans doute rendue plus facile si les effectifs étaient plus faibles. La France reste le pays d’Europe où les effectifs par classe sont parmi les plus nombreux. Enfin, construire le parcours de l’élève, échanger sur ses compétences demande de la concertation au sein d’une équipe pédagogique, chose qu’aujourd’hui les professeurs des écoles ne peuvent faire car devant répondre à une urgence permanente et des programmes trop chargés.
Un dernier mot aux enseignant.e.s, vraiment ?
En prônant le dernier mot aux professeurs, le Ministre entend restaurer l’autorité du maître.
Cette mesure pose en fait plus de questions que de réponses : Comment harmoniser entre les écoles les mesures de redoublement (on sait ainsi qu’une école avec un public favorisé n’aura pas les mêmes critères de redoublement qu’une école avec milieu plus modeste) ?
Va-t-on aller vers une plus grande judiciarisation de l’école ?
Pour le Sgen-CFDT, une chose est sûre, on ne peut faire cela sans associer les familles, qui rappelons-le, sont les premiers éducateurs de leur enfant. C’est d’ailleurs l’une des préconisations de l’OCDE dans l’enquête PISA :
« associer les parents au déroulé de scolarité de l’enfant permet à la fois de construire une relation de confiance mais est avant tout un facteur de réussite pour l’élève ».
Évidemment, pour les professeurs des écoles, cela demande du temps (qu’ils/elles n’ont pas actuellement) pour construire ce dialogue de proximité. Les différentes mesures demandent d’ailleurs de nombreux temps d’échanges : à la fin du premier semestre puis du second, pour les différentes mises en place des différentes remédiations. C’est à ce prix que la co-éducation prendra sens pour tous, les enseignant.e.s mais aussi les familles.
L’externalisation de la difficulté scolaire !
Il est proposé qu’un.e enseignant.e ne sera en mesure de proposer le redoublement que s’il a proposé un accompagnement adapté de l’élève en amont de la décision.
L’accent est clairement mis sur les accompagnements en dehors de la classe (APC et SRAN) comme si on abandonnait toute ambition de se doter des moyens en formation, en personnels et en temps pour accompagner nos élèves dans la classe.
Ces accompagnements devront être formalisés dans le PPRE prenant en compte les mesures dans et hors la classe. Ces dispositifs devront être évalués, ajustés régulièrement en fonction des compétences acquises de l’élève. Rappelons que ce PPRE est aujourd’hui co-signé par les familles qui y sont associées sur toutes les étapes de sa mise en œuvre.
Pour le Sgen-CFDT, ces aménagements pédagogiques doivent être prévus sur le temps scolaire obligatoire. Ils doivent pouvoir prévoir des prises en charge via des Psy-EN, des médecins scolaires ou des enseignants spécialisés des RASED. Encore faut-il qu’ils existent!
Autre incohérence, le redoublement ne pourra être proposé que si l’élève a bénéficié d’un Stage de Remise à Niveau, un stage qui se déroule durant les congés scolaires et alors qu’il est soumis à l’autorisation des parents.
Avec ces obligations, le Sgen-CFDT pense que les enseignants vont en fait dépenser une énergie très importante pour convaincre les familles de les inscrire à ces dispositifs de soutien, accompagner l’élève en classe, remplir des documents administratifs pour une mesure qui ne donnera au bout du compte pas d’effets. La mise en œuvre opérationnelle d’une telle mesure risque donc de montrer rapidement ses limites.
Les élèves en difficultés n’ont pas besoin de plus d’école mais de mieux d’école.
Une vision encore une fois passéiste de l’école
S’il est important de reconnaitre l’expertise professionnelle des enseignant.e.s, ce n’est sans doute pas à travers cette mesure autour du redoublement que cela doit se faire.
Selon le Sgen-CFDT, cette mesure risque de fragiliser les relations qu’entretiennent les familles avec l’école sans pour autant restaurer une forme d’autorité aux équipes pédagogiques.
La mise en place d’une commission chargée d’examiner les recours contre les décisions des conseils des maîtres vont en fait accentuer le défi de certaines familles envers le système éducatif voire le conflictualiser.
Cette mesure, comme d’autres à venir, laissent penser que l’école d’hier permettait à l’élève de mieux réussir.
Le véritable problème est l’incapacité des politiques à donner l’autonomie nécessaire aux équipes pédagogiques pour travailler sereinement, pour construire sereinement le parcours scolaire de l’élève en fonction de ses capacités et de ses compétences.
D’autres leviers sont possibles pour travailler l’hétérogénéité de la classe : les effectifs, le nombre d’enseignants dans la classe, la formation initiale et continue, l’allègement des programmes et de la journée de classe.
Le temps de l’éducation est un temps long et chaque élève doit avoir la possibilité d’apprendre à son rythme.
Et au final est-ce vraiment à un Ministre de décider si un élève doit redoubler ou non ?