Emmanuelle Bourgier est Principale du collège Marcel Bouvier aux Abrets-en-Dauphiné dans le département de l'Isère. Elle explique comment vit la réforme du collège dans son établissement après un trimestre.
La réforme du collège repose sur un changement de conception du métier d’enseignant.
Où en est-on de la mise en place de la réforme après un trimestre ?
Aujourd’hui, la partie « visible » de la réforme du collège est en place : les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) existent, même si leur forme a besoin d’être encore modifiée car nous aurions souhaité créer une vraie plage horaire fixe consacrée aux EPI sans multiplier le nombre d’enseignants différents devant les élèves. Quant à l’accompagnement personnalisé (AP), nous avons donné la possibilité aux enseignants de prendre leurs classes en groupes de besoins dans certaines disciplines – cette organisation, qui multiplie les groupes à composition variable, rend cependant très compliquée la gestion des études.
Se pose encore l’épineuse question de l’évaluation et du livret scolaire unique numérique (LSUN)
En effet, la réforme concerne tant de domaines et le calendrier de la mise en place en a été si rapide qu’il a fallu nécessairement aller à l’essentiel : de quels objectifs de la réforme étions nous les plus éloignés ? Que fallait-il donc mettre en œuvre en priorité ?
Comment les enseignants ont-ils abordé cette rentrée ?
J’ai trouvé que les enseignants avaient abordé la rentrée déjà fatigués
Ils ont dû pour nombre d’entre eux beaucoup travailler cet été pour mettre au point leurs nouveaux cours, sur tous leurs niveaux, et l’ampleur de la tâche a pu paraître décourageante pour certains – rappelons-le, la réfection des programmes de toutes les classes simultanément est une situation tout à fait inédite. Cependant chacun était au point sur ce qui l’attendait : chacun avait travaillé, savait ce qu’il avait à faire et s’est attelé à la tâche avec conscience professionnelle.
Comment les enseignants se sont-ils engagés dans la réforme ?
Dans notre établissement, les enseignants avaient tout à fait conscience qu’on ne pouvait plus enseigner aux élèves comme avant et beaucoup avaient déjà fait évoluer leurs pratiques dans le sens demandé par la réforme, ou tout au moins s‘interrogeaient. Malgré des réticences liées notamment à la suppression de la classe bilangue et de la section européenne ou encore au caractère possiblement artificiel des EPI, tout le monde a répondu présent et s’est mis au travail de façon très professionnelle dès l’automne 2015. Globalement, c’est l’ampleur de la tâche ainsi que l’aspect matériel de la mise en place de l’AP et des EPI qui ont posé question.
La formation a dans l’ensemble déçu les enseignants
La formation a dans l’ensemble déçu les enseignants : actions de formation tardives, ne répondant souvent pas aux attentes très concrètes des enseignants… les formations numériques qui ont été imposées ont notamment été vécues comme peu pertinentes au regard des besoins urgents concernant par exemple la différenciation et l’approche personnalisée.
Quelles sont les avancées significatives, et que reste-t-il à mettre en place ?
Les difficultés organisationnelles sont réelles pour la mise en œuvre des EPI ou des groupes de besoin sans que les élèves voient encore plus d’enseignants se succéder devant eux.
Je pense que chacun a « intégré » les principes de bases de la réforme – s’adresser à tous les élèves, donner du sens aux enseignements.
Ce qui reste à mettre en place, ce sont, clairement, des méthodes pédagogiques qui permettent à chaque élève de la classe d’être acteur de ses apprentissages.
Il s’agit de faire en sorte que les enseignants deviennent non plus seulement des spécialistes de leur discipline mais avant tout des spécialistes de la pédagogie. La réforme repose vraiment dans un changement de conception du métier d’enseignant, et dans une professionnalisation qui permette à chaque enseignant d’entrer dans la différenciation pédagogique. Or nous faisons face à un vrai déficit de formation à ce sujet, et c’est là ma préoccupation principale : la réforme ne fonctionnera que si les enseignants sont formés à cette différenciation.