Déclaration liminaire du Sgen-CFDT lue au CSAMEN du 4 juillet 2023
Un contexte explosif qui dépasse l’Éducation nationale
Le drame qui s’est produit à Nanterre et qui a provoqué la mort de Nahel, jeune homme de 17 ans, est profondément choquant. Le parquet de Nanterre, en mettant en examen pour homicide volontaire et en demandant le placement en détention provisoire du policier auteur du coup de feu mortel, considère que les conditions légales de l’usage de l’arme à feu n’étaient pas réunies. La justice doit poursuivre son travail dans la sérénité pour faire toute la lumière sur les causes de cette tragédie.
L’heure n’est ni à l’exploitation de la mort de Nahel pour souffler sur les braises de la colère, ni aux tentatives de minimisation du drame par certaines organisations. Alors que nous connaissons depuis plusieurs jours des violences, des atteintes aux personnes et aux biens qui sont inacceptables, nous le réaffirmons, la responsabilité de toutes et tous est de contribuer à l’apaisement, et d’engager une politique de cohésion sociale digne de ce nom, ambitieuse, globale et cohérente afin de construire une société fraternelle, solidaire et apaisée.
La sidération, la crainte d’être victime des violences, la mémoire parfois vive de précédentes émeutes déclenchées par des violences policières inadmissibles, le fait que la situation continue de se dérouler sous nos yeux, tout cela ne permet pas d’avoir immédiatement une analyse juste et complète. Mais cela ne peut pas, ne doit pas justifier une réponse uniquement sécuritaire puis de tout remettre sous le tapis.
Pour le Sgen-CFDT, il est urgent et temps d’organiser des états généraux des quartiers sensibles et de réunir l’ensemble des acteurs (sociaux, éducation nationale, justice, police, élus, etc.) pour aboutir à un véritable plan global d’actions.
La part de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse dans la crise que nous traversons
Cela dépasse le seul domaine de compétence du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, c’est une certitude. Pour autant, non seulement des écoles et établissements scolaires ont été la cible de dégradations allant jusqu’à la destruction, mais la déflagration se traduit par le fait que des jeunes, parfois des enfants, relevant de l’obligation scolaire, devant bénéficier de l’obligation de formation à 18 ans, sont parmi les acteurs des violences de ces derniers jours et de ces dernières nuits.
Dans l’immédiat, le système éducatif fait face à une crise majeure. Pour le Sgen-CFDT, dans pareille situation, il est indispensable que les autorités académiques structurent le dialogue social avec les organisations représentatives des personnels : partager des informations, des analyses, des propositions pour faire face à une situation difficile à vivre professionnellement. C’est aujourd’hui très rarement le cas, tout se passe comme si les organisations syndicales n’étaient pas considérées comme des interlocuteurs majeurs pour agir, pour définir ensemble les voies et moyens de soutenir, protéger, mais aussi préparer l’après. Il est aussi indispensable que les autorités académiques prennent la mesure d’une double responsabilité : au titre de la mise en œuvre des politiques scolaires et au titre de la mise en œuvre des politiques de jeunesse et de la vie associative. Le Sgen-CFDT n’était pas favorable au transfert des personnels jeunesse et sports des directions régionales et départementales jeunesse et sport – cohésion sociale aux services déconcentrés de l’Éducation nationale. Que les autorités académiques, aujourd’hui, n’aient pas le réflexe de réunir tous les acteurs éducatifs du territoire avec l’appui et l’expertise des personnels techniques et pédagogiques jeunesse et sports (notamment les CEPJ) démontre s’il en était besoin que ce transfert de personnel n’a en rien amélioré la capacité à coordonner des politiques éducatives dans un objectif de cohésion sociale. La polarisation de leur activité au service du SNU d’une part et des politiques scolaires de l’autre (ou parfois leur éviction pure et simple de l’articulation entre les politiques scolaires et les politiques éducatives au sens large) prive l’Etat et les acteurs locaux d’une ingénierie éducative qui serait pourtant particulièrement précieuse dès maintenant.
Remettre les priorités à l’endroit
Pour le Sgen-CFDT, il y a urgence à remettre les priorités à l’endroit. À quoi sert-il de mettre l’énergie des équipes dans le déploiement du pacte décrié par tous ? À quoi sert-il de chercher à déployer le SNU sur temps scolaire ? N’est-il pas urgent et impératif de se soucier de ce que nous pourrons faire dans l’été pour que les enfants et jeunes qui ne partiront pas en vacances aient l’opportunité d’avoir des activités de loisirs, culturelles, sportives et contribuant à leur épanouissement, leur émancipation, de faire des rencontres, d’avoir des espaces de discussion permettant de dépasser la colère parfois la haine, la sidération, les angoisses, d’éprouver maintenant que la société française, la République n’abandonne aucun de ses enfants ? Cela suppose des ressources humaines, à la fois dans la fonction publique, mais aussi dans le monde associatif. Cela suppose que la nation considère enfin que la présence humaine auprès des catégories de la population les plus précaires, les plus fragiles est indispensable et doit être financée. Fragiliser les services publics et le monde associatif, c’est miter le tissu social, et c’est ce qui a été fait depuis de trop nombreuses années.
L’absence de retour en classe pour beaucoup d’élèves de collèges et lycées devrait nous amener à préparer avec attention la reprise en septembre. Des élèves n’auront pas eu entre-temps des vacances pour mettre à distance, certains seront sans doute soumis à des peines prononcées par la justice, voire à des peines d’emprisonnement trop courtes pour que le moindre travail social et de réinsertion ait pu se dérouler jusqu’à son terme.
Et l’on reprendrait comme si de rien n’était ? Encore une fois, on reprendrait après une crise majeure, sans attention à personne, ni les personnels, ni les élèves, juste pour reprendre la course aux programmes surchargés ?
On mettrait l’énergie à du reporting tatillon sur les remplacements de courte durée sans se soucier de la cartographie des remplacements longs non assurés : où notre société tolère-t-elle que des enfants n’aient pas cours de français en collège de 6 mois à toute l’année scolaire ? Certainement pas dans les établissements ayant les IPS les plus élevés. Quels moyens nous donnons-nous d’améliorer vraiment les conditions d’enseignement auprès des publics les moins favorisés ? Quels moyens nous donnons-nous d’aller encore plus loin en termes de mixité sociale et scolaire et pour que toutes les familles considèrent que cet objectif est légitime, prioritaire pour faire société, pour réduire les inégalités ?
Ce ministère ne peut pas tout, l’École ne peut pas tout, les politiques éducatives et de jeunesse seules ne peuvent pas tout. Mais notre ministère ne peut pas rester silencieux dans la nécessaire analyse de ce qui se joue sous nos yeux. Notre ministère doit prendre toute sa part, exiger toute sa part pour que les politiques éducatives en France dénouent les fils de la reproduction sociale, réduisent l’assignation identitaire, sociale et territoriale.