Les pensions de retraite sont le miroir grossissant des inégalités professionnelles, et plus particulièrement des inégalités entre les femmes et les hommes.
Rappelons d’emblée quelques chiffres concernant la retraite.
Fin 2016, 37 % des retraités résidant en France (54 % des femmes et 16 % des hommes) percevaient une pension de droit direct 1 (majoration pour trois enfants ou plus comprise) inférieure ou égale à 1 000 euros brut par mois.
7 % des retraités (2 % des femmes et 12 % des hommes) recevaient plus de 3 000 euros brut par mois.
Parmi les retraités ayant effectué une carrière complète, 18 % touchaient moins de 1 000 euros brut par mois et 9 % plus de 3 000 euros brut par mois .
LES INÉGALITÉS À LA RETRAITE
Tous régimes de retraite confondus, les femmes résidant en France perçoivent un montant de retraite de droit direct, après prise en compte de l’éventuelle majoration pour trois enfants ou plus, inférieur de 40 % à celui des hommes en 2020 (contre 50 % en 2004).
En tenant compte de la pension de réversion (dite aussi pension de droit dérivé), cet écart se réduit à 28 %, les femmes percevant un montant mensuel de droits dérivés supérieur à celui des hommes. Les veuves sont par ailleurs plus nombreuses que les veufs à bénéficier d’une pension de réversion.
Autre injustice, les femmes sont plus nombreuses à toucher une faible retraite, et au contraire peu nombreuses, dans l’ensemble des retraités, à toucher une pension brute supérieure à 3 000 euros.
VERS UNE RÉDUCTION DES INÉGALITÉS DE CARRIÈRES ?
Le titre d’une étude publiée en aout 2022 « Retraite : entre 35 et 44 ans, les femmes des générations 1970 valident autant de trimestres que les hommes » pourrait laisser croire que la partie est gagnée pour ces générations qui, si rien ne change, devront valider 171 puis 172 trimestres pour avoir une retraite sans décote à 62 ans.
Pourtant, la lecture complète de l’article dissipe le malentendu : un même nombre de trimestres validés ne signifie pas ipso facto égalité de carrière.
En effet, la comparaison du nombre de trimestres validés au titre de l’assurance vieillesse du parent au foyer (AVPF) entre femmes et hommes prouve que, pour ces générations ayant commencé à avoir des enfants au plus tôt dans les années 90, ce sont encore majoritairement les femmes qui interrompent ou réduisent leur activité à la naissance des enfants.
Pour les trimestres d’AVPF, la Caisse d’allocation familiale (CAF) cotise sur la base d’un salaire au Smic. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel, lequel peut être « choisi» ou imposé – cas particulièrement fréquent dans la fonction publique, surtout chez les contractuelles.
Dans le régime général, dont relèvent salariés du privé et contractuels de la fonction publique, la rémunération à temps partiel peut entrainer une baisse du salaire annuel moyen (calculé sur les vingt-cinq meilleures années) qui, multiplié par le nombre de trimestres de durée d’assurance, donne le montant annuel de la pension de retraite – situation plus fréquente chez les polypensionnés dont seule la partie de la carrière relevant du régime général est prise en compte.
La part des fonctionnaires partis à la retraite en 2020 et ayant validé plus de douze trimestres dans un autre régime de retraite est en moyenne de 40 %, toutes catégories confondues.
Les écarts chez les hommes sont importants, avec un minimum pour les enseignants du premier degré et un maximum dans les filières ASS (administratifs, sociaux et de santé) et ITRF (ingénieurs, techniciens de recherche et de formation) de catégorie B (68 %) et de catégorie C (73 %).
Plus de la moitié de l’ensemble des ASS et ITRF (des catégories A, B et C) et des personnels d’éducation et d’orientation valident plus de douze trimestres, tandis que c’est le cas de 43 % des enseignants du second degré, de 33 % des personnels de direction et d’inspection, et de 27 % des enseignants du premier degré.
Dans la Fonction publique, le temps partiel compte comme le temps plein pour la durée d’assurance, mais au prorata pour le taux de liquidation (où une année à mi-temps donne deux trimestres).
Les parents d’enfants nés à partir de 2004, qui ont pris un congé parental ou un temps partiel de droit, voient ces périodes prises en compte gratuitement pour le taux de liquidation dans la limite d’un nombre maximum de trimestres .
Mais contrairement à ceux nés avant 2004, ces enfants n’ouvrent pas droit à la bonification d’un an par enfant pour le parent qui a interrompu au moins deux mois son activité à la naissance ou lors de l’adoption . Seule la mère a droit à 6 mois de majoration d’assurance, qui n’est pas prise en compte pour la liquidation de la pension et qui ne se cumule pas avec la prise en compte gratuite de deux trimestres en liquidation.
Les effets du temps partiel sont également significatifs dans le calcul des retraites complémentaires (Agirc-Arrco pour les salariés du privé, Ircantec pour les contractuels de la Fonction publique).
LES DISPOSITIFS DE SOLIDARITÉ
Sans ces dispositifs qui représentent 22 % des pensions versées aux femmes et 12 % de celles versées aux hommes, l’écart entre femmes et hommes serait plus important encore.
Pour autant, les droits familiaux et conjugaux ne profitent pas assez aux femmes.
L’écart en faveur des femmes résulte essentiellement des majorations de durée d’assurance ou des bonifications pour les enfants, des trimestres d’AVPF et surtout des pensions portées au minimum.
La majoration aux parents de trois enfants bénéficie davantage aux hommes dont les pensions sont plus élevées : 3,1 % de leurs droits propres contre 2,8 % de ceux des femmes, pourtant plus faibles.
Ajoutons que l’évolution de la conjugalité prive des femmes non mariées, et surtout celles ayant eu des enfants, de la pension de réversion qui s’ajoute à la pension de droits propres de la femme, ou qui lui apporte des droits dérivés en l’absence de pension.
L’accroissement du nombre des divorces et remariages, qui entraine un partage des droits entre les conjoints, a pour effet de réduire les droits à pension de réversion qui sont alors partagés. Sans cette réversion, l’écart avec les hommes serait encore plus important puisqu’avec une espérance de vie plus élevée, les femmes se retrouvent souvent seules pendant une période assez longue et à un âge très avancé.
QUELLES REVENDICATIONS POUR UN SYSTÈME DE RETRAITE JUSTE, SOLIDAIRE ET UNIVERSEL ?
 En février 2020, alors que le projet de loi réformant les retraites était à l’étude à l’Assemblée et que commençait la conférence de financement, la CFDT a réaffirmé ses positions et précisé ses revendications.
Elle exige de maintenir ou d’améliorer les dispositifs de solidarité dont les femmes sont encore les principales bénéficiaires sans que cela compense pour autant les inégalités professionnelles :
soit, porter à 100 % du Smic le minimum de pension pour une carrière complète ; créer un système solidaire au sein d’une même génération pour compenser les aléas de carrière et de vie en améliorant les droits à la retraite pendant les périodes de chômage.
Comme aujourd’hui, la CFDT réaffirmait qu’il n’y a pas de justice sociale sans égalité femmes-hommes à la retraite et réagissait à plusieurs dispositions du projet de loi.
S’agissant de celle d’adapter les droits familiaux en instaurant une bonification non calculée sur la rémunération, qui remplacerait la majoration de trois enfants et plus : le projet de loi prévoyait une bonification de 5 % dès le premier enfant, et de 17 % au troisième qui pouvait être partagée avec le père. Considérant « que cette option serait sans doute la plus juste dans un monde de coparentalité et d’égalité de rémunération », la CFDT demandait que la bonification soit forfaitaire, non calculée sur la rémunération, et majorée si l’enfant a un handicap lourd – proposition qui réduit le risque que cette bonification soit affectée au père (dont la rémunération est souvent plus élevée).
En outre, la CFDT revendiquait d’adapter et de renforcer les droits familiaux, en refusant la suppression pure et simple des majorations de durée d’assurance 7 qui était prévue dans le projet; d’adapter les droits conjugaux en sécurisant et en étendant les pensions de réversion à toutes les formes de couple ; enfin, d’adapter les droits conjugaux en partageant les droits à la retraite au moment du divorce.