Comment arrêter de faire comme si tous les étudiants arrivaient identiques en première année ?
Avec Françoise Lambert, secrétaire nationale Sgen-CFDT et enseignante-chercheuse.
Je suis maîtresse de conférences à l’université de Poitiers, et je suis une économiste. Mon investissement pédagogique constitue la trame principale de ma carrière, et ce qui va avec, l’investissement dans les responsabilités collectives. Parce que je voulais faire bouger les lignes, faire évoluer les formations. Les responsabilités que j’ai exercées, ou que j’exerce, c’est finalement la conséquence de cet investissement pédagogique.
Les étudiant·es, leur réussite, c’est notre mission de service public. C’est ce qui me passionne, et c’est pour cela que j’aime ce métier.
Trouver une voie qui lui convienne. Qui fasse sens pour lui. Et puis réussir, c’est faire un chemin vers un projet. Ce n’est pas forcément le chemin le plus direct – celui des premiers de la classe, par exemple – mais c’est un chemin où on est globalement heureux, même si bien sûr il y a toujours des moments plus difficiles.
Pour le choix d’un projet, il faut avoir réfléchi à ce qu’on attend, et aux pistes possibles. Beaucoup d’éléments comptent, bien sûr, mais on ne les valorise pas tous de la même façon. Par exemple, certains sont très motivés par le salaire qu’ils auront, d’autres veulent faire de leur métier une passion. Mais un salaire ne fait pas tout, surtout si ce qu’on fait est orthogonal à ce qu’on aime. Et une passion ne permet pas forcément de vivre comme on le voudrait. Donc il faut savoir comment on se situe. Cela demande du temps.
Réussir, c’est faire un chemin vers un projet.
Ce qui m’apparaissait particulièrement important dans cette loi, c’est qu’on arrêtait de faire comme si tous les étudiants arrivaient identiques en première année. Hop, ils ont passé le bac, et ça a mis les compteurs à zéro ! Alors qu’on savait bien qu’un bac pro n’a aucune chance, et qu’un bac S mention TB s’en sortira à la fac ! L’égalité des chances, ce ne sont pas des parcours identiques, c’est proposer des parcours adaptés à l’histoire des étudiants.
L’égalité des chances, ce ne sont pas des parcours identiques, c’est proposer des parcours adaptés…
Un dispositif intéressant, qui a été mis en place dans plusieurs universités, consiste à « étaler » la première année sur deux ans, avec du renforcement
disciplinaire et méthodologique. Plutôt que d’augmenter le nombre d’heures sur une seule année pour combler ce qui manque. Et ce qui a été vécu au début comme une punition donnerait actuellement de bons résultats, à tel point que des étudiants faisant le cursus en 3 ans demandent à entrer dans le cursus en 4 ans : ils pensent qu’ainsi, ils auront plus de chance de réussir ! Mais il faut être prudent, on ne dispose pas encore d’une véritable visibilité sur l’efficacité de ce qui a été mis en place.
Oui, c’est un enjeu très fort. L’année de césure, c’est un élément de réponse. Mais c’est vrai qu’en France, on est plutôt sur le schéma « master en formation initiale », puis c’est fini, alors que d’autres pays ont beaucoup plus de fluidité entre formation et emploi.
Or, cette fluidité est extrêmement enrichissante, elle permet aux jeunes de mûrir leur projet, elle donne du sens aux études. On a ainsi des étudiants qui partent avec ce qu’on appelle un niveau très moyen et quand ils reviennent, ils cartonnent… tout simplement parce qu’ils savent pourquoi ils sont là.
Dans d’autres pays, il y a beaucoup plus de fluidité entre formation et emploi.
Oui, c’est même une évolution très forte qui a eu lieu. On ne considère plus l’échec comme une fatalité, à la fois individuellement et collectivement. Même si tout n’est pas homogène, les facs se préoccupent beaucoup plus de leurs étudiants qu’avant, et collectivement, on se pose la question de ce qui est le mieux pour les étudiants, en termes d’affectation (BTS, DUT et Licence), plutôt que de chercher à récupérer « les meilleurs ».
En fait, je préfère parler de « trouver des pistes », il y a quelque chose de définitif dans le mot réussite, et qui ne peut s’évaluer que dans le temps. Moi, je pense plutôt « chemin ». J’ai un étudiant qu’on dirait moyen, mais qui a obtenu la possibilité d’entrer dans la formation qu’il souhaitait, parce qu’il a valorisé une expérience atypique de création de start-up. Il n’est pas tout seul dans ce cas, et c’est ça qui est bien.