« Revalorisations dans l'Éducation nationale : ce que porte le Sgen-CFDT » est le dossier du n° 280 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT. Dans ce cadre, nous avons interviewé Bernard Schwengler, auteur d'un livre sur la réalité du salaire enseignant depuis les années 1980.
Auteur de Salaires des enseignants. La chute, qui vient de paraître aux éditions de L’Harmattan, est docteur en science politique et enseignant en sciences économiques et sociales. Dans cet ouvrage, il analyse le processus de baisse de la rémunération des enseignants depuis les années 1980.
Peut-on dire que les mesures de revalorisation des salaires des enseignants annoncées à l’issue du Grenelle de l’éducation constituent une rupture et mettent fin au processus de leur baisse depuis les années 1980 ?
Ce n’est pas une rupture. Depuis les années 1980, les salaires des enseignant·e·s ont fait l’objet de nombreuses revalorisations : notamment, au début des années 1990, les « revalorisations Jospin
», et de 2017 à 2020, la mise en œuvre des dispositions du protocole PPCR de 2016. Les mesures issues du Grenelle de l’éducation constituent une revalorisation de plus.Alors comment expliquer cette baisse ?
En quarante ans, les salaires des enseignant·e·s ont subi des influences contradictoires. Ils ont été tirés vers le haut par des mesures de revalorisation, et ils ont subi par ailleurs des facteurs de baisse, qui sur la longue période, ont eu des effets plus marqués que les revalorisations.
Pouvez-vous en dire davantage sur ces facteurs de baisse des salaires des enseignants ?
Le principal facteur de baisse est la perte de valeur du point d’indice
, indexée jusqu’en 1982, sur l’inflation. De 1983 à 2010, les revalorisations annuelles du point d’indice ont été inférieures au rythme de l’inflation. Et depuis 2011, il n’est plus revalorisé (sauf en 2016 et 2017). C’est le fameux gel du point d’indice. De 1982 à 2018, le point d’indice a perdu près de 21 % de sa valeur (en données réelles). Le second facteur de baisse est la hausse des cotisations retraite et de la CSG. L’effet cumulé de ces deux facteurs correspond, toutes choses égales par ailleurs, à une baisse de salaire réel de près de 28 % de 1982 à 2018, soit un rythme annuel moyen de baisse de 0,9 % (cf. graphique ci-contre, source : Bernard Schwengler, Salaires des enseignants. La chute, L’Harmattan, 2021).
Peut-on estimer l’ampleur de cette baisse des salaires depuis les années 1980 ?
L’évolution réelle des salaires des enseignant·e·s est la résultante des facteurs de baisse (−28 %) et des mesures de revalorisation. Mais à la différence des facteurs de baisse qui produisent leurs effets de façon continue et uniforme sur l’ensemble des enseignants, les mesures de revalorisation ont visé essentiellement des catégories spécifiques d’enseignants : les débuts de carrière, les corps ayant les grilles de rémunération les plus basses, les fins de carrière (avec la création de grades d’avancement). L’évolution réelle des salaires a par conséquent été variable selon les corps et les niveaux d’ancienneté.
Qu’en est-il des salaires des enseignants certifiés ?
L’évolution de leurs salaires est présentée dans le graphique ci-contre, à trois niveaux d’ancienneté : début de carrière (1re année d’enseignement) – 10e année d’enseignement – fin de carrière au 11e échelon de la classe normale. C’est en début de carrière que la baisse des salaires a été la plus faible (−2 %) du fait des mesures de revalorisation pour les entrants dans le métier. La baisse des salaires a été de 20 % à la 10e année d’enseignement et de 22 % en fin de carrière au 11e échelon de la classe normale.
Lecture du graphique : les salaires sont exprimés en indices avec le salaire de décembre 1982 comme base 100 pour chaque niveau d’ancienneté. En début de carrière, le salaire des professeur·e·s certifié·e·s est passé de l’indice 100 (en 1982) à l’indice 98 (en 2018), ce qui correspond à une baisse de 2 %. Source : idem.
Mais de nos jours, les professeurs certifiés terminent souvent leur carrière à la hors-classe, voire à la classe exceptionnelle, grades qui n’existaient pas en 1982…
C’est exact. La création des grades d’avancement – la hors-classe en 1990 et la classe exceptionnelle en 2017 – devait permettre aux professeurs certifiés promus d’atteindre des niveaux de salaire de fin de carrière plus élevés. Sur le long terme, cependant, les effets sur les salaires relèvent en grande partie de l’illusion, car la baisse des salaires se produit aussi pour les grades d’avancement. Et avec le temps, les salaires aux échelons sommitaux de ces nouveaux grades finissent par descendre au niveau où se trouvaient les salaires aux échelons sommitaux des anciens grades : chez les professeurs certifiés, le salaire à l’échelon sommital de la hors classe en 2018 était inférieur de 8 % au salaire au 11e échelon de la classe normale (la classe unique) en 1982. Seuls les professeurs certifiés promus à l’échelon sommital de la classe exceptionnelle avaient, en 2018, un salaire de fin de carrière plus élevé que le salaire de fin de carrière de 1982 au 11e échelon de la classe normale.
Les enseignants du primaire ont pourtant bénéficié d’une revalorisation conséquente avec la création du corps des professeurs des écoles en 1990…
C’est exact. Jusqu’au début des années 2000, les effets à la hausse des salaires chez les enseignant·e·s du primaire l’avaient emporté sur les effets à la baisse du fait de l’ampleur des revalorisations de carrière résultant de la création du corps des professeur·e·s des écoles en remplacement du corps des instituteur·trice·s. Depuis cette date, la tendance s’est inversée. En 2018, les effets à la hausse ont été conservés à la première année d’enseignement, et perdus aux autres niveaux d’ancienneté de la classe normale (cf. graphique ci-contre).
Lecture du graphique : les salaires sont exprimés en indices avec le salaire de décembre 1982 comme base 100 pour chaque niveau d’ancienneté. En début de carrière, le salaire des professeur·e·s certifié·e·s est passé de l’indice 100 (en 1982) à l’indice 98 (en 2018), ce qui correspond à une baisse de 2 %. Source : idem.
Peut-on dire que les écarts de rémunération entre les différentes catégories d’enseignants se sont réduits depuis les années 1980 ?
Oui. De 1982 à 2018, les revalorisations ont été les plus importantes pour les enseignant·e·s du primaire, les plus faibles pour les professeur·e·s des universités – les écarts de salaires entre les différents corps d’enseignant·e·s ont par conséquent diminué, mais sous la forme d’un alignement vers le bas. En ce qui concerne les salaires à la dixième année d’enseignement, le salaire des professeur·e·s des universités de 2018 s’est rapproché de celui des maître·sse·s assistant·e·s et des professeur·e·s agrégé·e·s dans le secondaire de 1982
; le salaire des maître·sse·s de conférences et des professeur·e·s agrégé·e·s dans le secondaire de 2018 correspond à celui des professeur·e·s certifié·e·s de 1982 ; le salaire des professeur·e·s certifié·e·s de 2018 correspond à celui des instituteur·trice·s de 1982. Et il est plus bas que le salaire des professeur·e·s des collèges d’enseignement technique de 1982 .Les mesures de revalorisation annoncées par le ministre Jean-Michel Blanquer portent sur deux rallonges budgétaires de près de 500 millions d’euros chacune. La première a été annoncée à l’automne 2020 et porte sur le budget 2021. La seconde, annoncée le 26 mai 2021, concerne le budget 2022. Ne pensez-vous pas qu’il s’agit de sommes conséquentes ?
Dans le budget de l’Éducation nationale, les dépenses correspondant aux rémunérations d’activité des personnels s’élèvent à près de 40 milliards d’euros. Une rallonge budgétaire de 500 millions d’euros représente 1,25 % de ce montant. Cela correspond à peu près au rythme annuel moyen d’inflation. En d’autres termes, pour compenser les effets à la baisse sur les salaires des enseignants provoqués par l’inflation, il faudrait chaque année une rallonge budgétaire de près de 500 millions d’euros.
Vous nous expliquez qu’en réalité ces rallonges budgétaires ne permettent pas une véritable revalorisation des salaires des enseignants, mais une simple stabilisation…
C’est exactement cela. En réalité, il faut également tenir compte de la façon dont les montants de ces enveloppes sont répartis. Les deux principales mesures pour l’année 2021 ont été la création d’une prime informatique et d’une prime d’attractivité.
La prime informatique, d’un montant annuel net de 150 euros, est versée à l’ensemble des enseignant·e·s. Cette création permet de compenser un peu moins de la moitié de la perte de salaire réel due à l’inflation
La prime d’attractivité, quant à elle, est versée aux enseignant·e·s qui se trouvent aux quinze premières années de carrière (du 2e au 7e échelon) et avec des montants dégressifs en fonction de l’échelon. Environ 30 % des enseignant·e·s perçoivent cette prime. Pour ces enseignant·e·s-là, le cumul des deux primes – prime informatique et prime d’attractivité – représente une hausse de leur salaire nominal plus importante que l’inflation, ce qui correspond à une hausse de leur salaire réel. À l’inverse, pour les 70 % des enseignant·e·s qui ne la perçoivent pas, le salaire réel continue de baisser. D’un point de vue global, la création de la prime d’attractivité a pour effet un transfert de salaire des enseignant·e·s en milieu et en fin de carrière (ceux qui ne la perçoivent pas) vers les enseignants en début de carrière.
Et qu’en est-il de la rallonge prévue pour le budget de 2022 ?
À ce jour, la façon dont elle sera répartie n’est pas encore connue. Mais étant donné son montant (près de 500 millions d’euros) elle sera tout juste suffisante pour compenser les effets de l’inflation (en supposant que celle-ci ne s’accélère pas). Elle sera peut-être utilisée pour générer des transferts de salaires entre catégories d’enseignant·e·s. Mais elle ne permettra pas une hausse des salaires réels des enseignant·e·s dans leur ensemble.
La partie la plus importante du salaire enseignant est constitué du traitement indiciaire brut (TIB), dont le montant correspond à la valeur du point d’indice multiplié par le nombre de points (qui dépend du corps et de l’échelon). Une baisse de valeur du point d’indice se traduit par conséquent par une baisse du traitement indiciaire brut, en données réelles.
Le corps des maître·sse·s de conférences a été créé en 1984 en remplacement du corps des maître·sse·s assistant·e·s.
Le corps des professeur·e·s des collèges d’enseignement technique a été remplacé au cours des années 1980 et 1990 par le corps des professeur·e·s des lycées professionnels.
Pour un·e enseignant·e ayant un salaire net annuel de 30 000 euros, la création de la prime informatique (150 euros net) correspond à une hausse de son salaire nominal de 0,5 %, soit un peu moins que la moitié de l’inflation.
no 280 – Juin-juillet-août 2021 de Profession Éducation.
Ndlr : lire l’entretien avec Jean-Michel Boullier, secrétaire général du Sgen-CFDT de 1986 à 1998. Et retrouvez en ligne l’intégralité du dossier « Revalorisations dans l’Éducation nationale : ce que porte le Sgen-CFDT », duBernard Schwengler, Salaires des enseignants. La chute, collection « Questions contemporaines », L’Harmattan, Janvier 2021.