Plusieurs militantes et militants Sgen-CFDT, mandaté·es CHSCT en université, institut de recherche ou à l’administration centrale témoignent. Retour d’expérience, engagements et ambition pour demain.
Nathalie Chabrillange est ingénieure d’études en laboratoire de biologie à l’IRD, institut de recherche et de développement, elle est par expérience confrontée quotidiennement à des problèmes techniques et de sécurité au travail mais c’est surtout la question du management dans les équipes, avec des problèmes souvent non traités qui l’ont décidée à s’engager en CHSCT d’établissement : « aller discuter avec les responsables ne suffisait pas… On m’a proposé d’aller en CHSCT, au bout de deux mandats on a fait un peu avancer les choses mais cela demande beaucoup d’énergie. Heureusement le mandatement et l’étiquette syndicale nous protègent. »
On observe que sur un temps long nos idées sont reprises pour que les agents puissent être mieux dans leur travail.
« La dématérialisation du registre de signalement SST par exemple a été précieuse, nous l’avions demandée à plusieurs reprises car les fiches n’étaient pas transmises et restaient lettre morte. Ainsi nous avons en CHSCT une meilleure visibilité des situations. Aujourd’hui nous demandons aussi un accès aux AT (accidents du travail), de façon à pouvoir le cas échéant générer des enquêtes, l’idée fait son chemin.»
Le besoin de collectif
Claire Legriel, ingénieure d’études à l’université Paris 8 (900 agents), a de son côté été élue du personnel pendant deux mandatures au CAC (commission formation et vie universitaire) puis elle a passé la main, on lui a proposé le CHSCT et elle a accepté : « on fonctionne en collectif, précise-t-elle. J’ai été confrontée à plusieurs cas de souffrance au travail aussi bien pour des personnels administratifs que pour des enseignant·es, pour moi cette expérience est toute fraîche, nous traitons les registres de signalement Santé et Sécurité au Travail : beaucoup de travail donc, on se retrouve régulièrement en instance. Malheureusement nous n’avons plus de médecin de prévention depuis trois ans à Paris 8. »
Évaluation des risques professionnels
Jeannette Kouta Bgenaken travaille aux services centraux des ministères de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche et est secrétaire générale du Sgen-CFDT Administration centrale, elle assure depuis deux ans un mandat en comité technique (CT) et au CHSCT, instances qui vont fusionner en décembre sous la forme d’un comité social ou CSA, ce double mandat lui permet une vision globale des problématiques d’organisation et de santé au travail. « Nous y avons des sujets communs, ces mandats nécessitent un investissement et les candidat·es ne s’y bousculent pas, au départ j’y suis allé par nécessité et c’est très formateur. Les violences sexuelles et sexistes au travail sont par exemple devenues une priorité, avec y compris des actions au TA (tribunal administratif). Nous avons aussi pu réaliser la mise en place d’un véritable Document Unique d’évaluation des risques (DU – document obligatoire pour tout établissement), mais qui est plus ou moins abouti… Nous avions bien une partie du DU concernant le bâti mais pas de prévention, et pas de prévention des risques psychosociaux : c’est désormais en cours d’élaboration. »
La prévention des risques psychosociaux devrait être la priorité numéro 1
Thierry Fratti, ingénieur d’études à la direction des systèmes informatique de Sorbonne Nouvelle nous précise : « je ne souhaitais plus ne m’adresser qu’à des machines mais aller à la rencontre des collègues par l’action syndicale. J’ai une expérience du CT et CHSCT depuis 10 ans, j’ai assuré le secrétariat du CHSCT pendant 6 ans. Je suis également mandaté au CHSCT du MESRI avec Nathalie : c’est très enrichissant d’avoir ces deux visions, locale et nationale, de l’instance santé et sécurité au travail. » « Nous avons vécu à Sorbonne Nouvelle plusieurs périodes, avec une direction générale des services (DGS) de 2011 à 2014 qui a œuvré pour une vraie politique de prévention, notamment des risques psycho-sociaux. Un groupe de travail avait été initié. Et puis il y a eu un changement de présidence et l’administration s’est désengagée de ces actions. Depuis 3 ans nous avons une nouvelle présidence qui dysfonctionne, c’est très difficile. Tout ce qui avait été mis en place a été supprimé et le CHSCT est écarté… »
En fait le fonctionnement du CHSCT est symptomatique du dialogue social dans un établissement.
Mettre l’humain au cœur de l’organisation
« Pour que la santé au travail des agents puisse être prise en compte dans les choix d’un établissement il faut une bonne coopération, pouvoir discuter et développer un argumentaire. Qu’une DGS soit en capacité de changer de position devant des arguments convaincants. Au CHSCT du MESRI on voit depuis deux ans un nombre important d’alertes, ça dysfonctionne beaucoup, la prévention des risques psychosociaux devrait être la priorité numéro 1. »
Lancer une alerte, faire changer les choses
Alexandre Ricard de son côté a une expérience dans le privé puis est arrivé dans la fonction publique par voie de concours il y a sept ans : « Au départ je ne connaissais pas le syndicat ni le CHSCT. A l’université Paris-Saclay j’exerce un métier de service et d’aide aux personnes et puis des collègues sont venus se livrer et me dire des choses atroces, au moins 60 sur 80 sont venus me parler, les gens ont eu confiance. Je suis allé voir la médecine du travail pour lancer une alerte et dire : je sens que quelque chose ne va pas. Ensuite j’ai voulu que ça change, nous avons monté une section Sgen-CFDT avec une collègue de la bibliothèque à l’UFR Jean Monnet (Sceaux). Nous souhaitions être présents dans les instances. »
Depuis 2018, j’ai le sentiment d’agir en faveur de la prévention primaire des risques psycho-sociaux.
« On met en avant le côté humain des relations au travail. Nous voulons tout faire pour que l’agent ne vienne pas à son travail avec la boule au ventre. Il y a beaucoup de tensions dans les établissements, il faut faire front et donner le sentiment aux agents qu’ils ne sont pas seuls. L’idée est de construire une réponse pour contrer le « diviser pour régner ». En CHSCT d’établissement on arrive à avancer. »
Nous avons adopté plusieurs chartes, dont une sur le télétravail, avec un réel impact sur les conditions de travail. Une autre charte est en cours concernant le droit à la déconnexion.
« Cet hiver nous allons être attentifs à la question des économies d’énergie. »
Que faire demain pour la santé des agents ?
Nathalie précise à propos des alertes et signalements que les agents ont peur de témoigner : « on alerte en ne citant pas les gens. Il est urgent de remettre l’humain au cœur des préoccupations des établissements. L’administration coche les critères imposés par le ministère mais on n’écoute plus les gens. Dans le monde de la recherche on est dans la performance et la compétition… »
Pour Jeannette, « si on n’était pas là, il n’y aurait pas de résistance : nous sommes des lanceurs d’alerte. Des dispositifs d’écoute ont été mis en place où l’on peut témoigner de façon anonyme. Pour demain il faut des dispositifs insoupçonnables pour l’agent. »
Violences sexuelles et sexistes au travail, harcèlement en tout genre : les établissements peinent à mettre en place une vraie prévention, il faut que ça change.
Être attentives et attentifs à tous les agents
Claire précise qu’il est important de « faire attention à toutes les catégories d’agents, ça devient compliqué aussi pour les enseignants-chercheurs par exemple. Si on tire le fil de toutes les alertes on voit des situations de grande souffrance. »
Former à la prévention des risques psycho-sociaux et mettre en œuvre les préconisations
« Il est important de former les chefs de service à la prévention des risques psycho-sociaux, précise Alexandre, il faut que la tête aille bien pour tout le monde : on peut mettre d’autres personnes en souffrance sans s’en rendre compte. »
« La mise en place des nouvelles formations spécialisées via le CSA, dit Thierry, ne va pas changer les militant·es : il faut continuer à mettre l’humain au centre de l’organisation, souligner l’importance du collectif et d’une organisation du travail transversale. On a besoin de contacts en direct en dehors des hiérarchies. Donner du sens au travail et remettre du collectif dans les fonctionnements pour stopper le gâchis. »
Quand il y a des enquêtes, nous précisent tous ces témoins, il faut qu’elles soient communiquées aux agents, les recommandations doivent leur être présentées puis mises en œuvre avec un suivi. Il faut rester vigilant.