Éducatrice spécialisée devenue cheffe d'entreprise, très engagée auprès des jeunes et des femmes, la boxeuse française multi médaillée Sarah Ourahmoune, pionnière dans ce sport en France, a consacré son rêve olympique en décrochant, à 34 ans, une médaille d'argent aux Jeux de Rio...
Qu’est-ce qui vous a amené à boxer ?
Avant de boxer, je faisais de la natation, du judo et du taekwondo. Quand nous avons déménagé à Aubervilliers, j’ai dû arrêter cette dernière activité car la salle de taekwondo avait brûlé. C’est en cherchant à faire un autre sport de combat que j’ai découvert Boxing Beats, le club de boxe anglaise de Saïd Bennajem. Mais n’utiliser que les poings ne m’intéressait pas tellement. Saïd m’a dit de revenir le lendemain et d’essayer. J’ai découvert la boxe éducative, une « boxe à la touche » où les coups appuyés sont interdits. Et j’ai attrapé le virus !
Je me suis retrouvée à m’entrainer dans une salle, ouverte aux enfants et aux adultes, mais exclusivement fréquentée par des hommes.
Malgré les appréhensions de ma mère qui a assisté longtemps aux entrainements pour dissuader Saïd de m’accepter. Il faut dire que j’avais quatorze ans et qu’à l’époque les compétitions de boxe féminine n’étaient pas autorisées en France. Je me suis donc retrouvée à m’entrainer dans une salle, ouverte aux enfants et aux adultes, mais exclusivement fréquentée par des hommes. Ma mère m’imaginait défigurée, le nez cassé. Finalement, en voyant le côté ludique des entrainements et le fait que j’adorais cela, elle a cédé. Mon père m’engageait plus à prendre mes responsabilités : finir l’année si je m’inscrivais, et ne pas me plaindre si je prenais des coups.
Pourquoi avoir continué la boxe, en dépit des coups ?
C’est l’ambiance qui régnait dans la salle qui m’a motivée. J’avais l’expérience de conditions d’entrainement très strictes au judo et au taekwondo. Ce qui m’a plu dans la boxe, c’étaient les entrainements en musique, la variété des exercices, l’alternance des séances (musculation, course…). Ensuite, il y a les vertus de la boxe : acquérir une stratégie pour toucher sans être touché en retour ; gérer sa peur, sa colère qui font faire des erreurs que l’adversaire exploite ; réussir de beaux gestes…
Dépasser ses limites grâce à un entrainement quotidien est très motivant. D’autant que le public n’était pas acquis à la boxe féminine…
Enfin, il y a l’expérience du ring, l’adrénaline, le stress face à l’adversaire. C’est une mise en scène particulière : l’annonce au micro avec la lecture du palmarès des combattants qui se retrouvent en hauteur, en pleine lumière. J’étais une adolescente introvertie. Or la boxe m’a permis de prendre confiance. Dépasser ses limites grâce à un entrainement quotidien est très motivant. D’autant que le public n’était pas acquis à la boxe féminine puisque les compétitions n’ont été possibles qu’à partir de 1999 ! C’est donc un exercice en soi qu’affronter ces regards et je me suis vite aperçue que c’était un milieu très macho, pas du tout facilitateur pour les femmes. On trouvait encore que ce n’était pas leur place. Mais cela a renforcé ma détermination à boxer.
Où puisez-vous cette motivation ?
Je suis une compétitrice dans l’âme. J’ai besoin d’objectifs précis pour me dépasser et la compétition m’a amenée à prendre gout à l’effort, à la difficulté, à être plus rigoureuse, à veiller à mon alimentation et à mon sommeil… Ce qui compte également, c’est l’équipe. On se déplaçait à l’étranger pour des compétitions, mais à chaque fois, c’était comme partir en colo.
Il y a toujours eu un collectif fort qui m’a permis d’être meilleure.
Enfin, ce qui me motive dans ce sport, c’est d’affiner mes gestes, de parfaire mon style, et à l’horizon, il y avait le rêve olympique, inaccessible jusqu’à ce que la boxe féminine fasse son entrée aux Jeux en 2012. Parfois la motivation diminuait parce que j’avais l’impression de donner beaucoup pour pas grand-chose, les boxeuses n’étant pas considérées à l’égal des boxeurs. Les médias s’y intéressaient peu, il n’y avait pas de sponsor. Mais malgré deux interruptions (cf. biographie ci-contre), grâce à cet idéal olympique, j’ai toujours réussi à revenir. Et j’ai eu deux excellents coaches. Saïd Bennajem m’a appris à croire en moi, à viser haut et il a toujours trouvé les mots pour me remobiliser. Marcel Denis m’a entraînée dans ma fin de carrière et m’a menée aux JO de Rio. Il a été exigeant et sans concession, totalement honnête, mais c’était notre accord car la motivation se travaille : c’est apprendre à savoir ce qu’on veut et à quelles conditions.
Mon rêve olympique était un projet familial.
Une fois fixée la qualification aux JO, avec l’aide de mon compagnon, j’ai tout organisé autour de cet objectif. Je ne pouvais pas me permettre d’arrêter de travailler, je ne voulais pas sacrifier ma fille (que j’allais chercher à la crèche et qui restait avec moi à l’entrainement) ni cesser mes engagements associatifs. J’ai donc privilégié la qualité à la quantité avec un entrainement intensif de 60 à 90 minutes par jour. Ces deux ans de préparation ont été très durs parce qu’après ma grossesse ma condition physique avait beaucoup baissé. Il y a eu énormément de défaites mais je me suis nourrie de chacune pour continuer à avancer jusqu’à l’objectif final : les Jeux olympiques.
Ce qui vous caractérise aussi, c’est l’engagement. De formation, vous êtes éducatrice spécialisée et vous avez travaillé avec des jeunes handicapés mentaux. On ne fait pas ce métier par hasard…
Non, sans doute. J’avais un temps pensé devenir prof d’EPS. Or, j’ai commencé à travailler comme éducatrice sportive, et j’ai été frustrée de ne pouvoir accompagner les jeunes au-delà d’une séance de sport. J’ai donc choisi d’être éducatrice spécialisée. Après le concours, j’ai arrêté la boxe car je devais aussi me construire professionnellement. J’ai travaillé avec différents publics : des toxicomanes, des prostituées… Puis j’ai travaillé dans un institut médico-éducatif (IME), et là, je me suis pleinement réalisée.
J’ai cultivé cette fibre éducative et sociale en m’engageant dans des activités associatives…
J’étais face à des jeunes qui avaient besoin qu’on s’intéresse à eux pour pouvoir se découvrir et avancer. Quand j’ai repris la boxe, il m’a fallu renoncer à ce métier car ce n’était pas satisfaisant vis-à-vis des enfants et de l’équipe. Mais j’ai continué à mener des actions bénévoles avec ce public, en utilisant la boxe. Le lien est moins fort qu’en IME mais le contact est toujours là. Et j’ai cultivé cette fibre éducative et sociale en m’engageant dans des activités associatives, auprès des jeunes en montant des projets au Boxing Beats, puis en créant ma propre association, Dynamic Boxe (qui deviendra Boxer Inside Club), pour permettre à des femmes de s’initier à la boxe en loisir, avec la possibilité d’amener leurs enfants qui bénéficient d’un espace avec des jeux, des livres…
Que vous permet maintenant cette médaille d’argent ?
Elle booste un peu mes activités. Quand j’étais enceinte, j’ai lancé une entreprise, Boxer Inside, qui propose des conférences et des cours de boxe en entreprise. Cela marchait modestement, mais avec la préparation pour les JO, c’était devenu très compliqué. J’ai voulu développer aussi un concept de gant connecté pour un entrainement ludique. C’était également difficile de gérer la relation avec les prestataires.
Au retour de Rio, il y a eu beaucoup de demandes de conférences. Ce sont de belles rencontres, et c’est l’occasion pour moi d’analyser mon parcours. Du côté de l’association, je continue les cours de boxe pour femmes, il y a aussi des cours mixtes, et j’organise des compétitions de boxe loisir. Enfin, j’ai le projet d’ouvrir ma propre salle à la rentrée, et la médaille m’a permis d’accélérer mes demandes de local.