Catherine Mendonça Dias a été co-responsable de la recherche Évascol, une enquête sur la scolarisation des enfants allophones qui a été menée dans quatre académies et a débouché sur un important rapport, remis en juin 2018.
Un extrait de cet entretien a paru dans le dossier « Migrant·e·s : le défi de l’intégration » de Profession Éducation (no 273 – Décembre 2019), le magazine du Sgen-CFDT.
est maîtresse de conférence en sciences du langage et didactique du français langue étrangère / français langue seconde – Université Sorbonne-Nouvelle.
Avec Maïtena Armagnague, Claire Cossée, Isabelle Rigoni et Simona Tersigni, elle a été coordinatrice scientifique du projet de recherche « Évascol » et de son rapport intitulé : « Étude sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV) ».
Pour lire la synthèse.
De migrant à allophone…
Que penser de l’utilisation aujourd’hui du terme « migrant·e » ?
Le terme était déjà utilisé dans les années 19701 (par exemple, dans la circulaire de 1976) : l’apprenant a été appelé « enfant de travailleur migrant », « enfant de travailleur immigré », « primo-arrivant »… En fait, le choix de la désignation détermine, et entre en résonance avec, les choix éducatifs, qui eux-mêmes sont en interaction avec l’évolution de la recherche et, éventuellement, avec des phénomènes de « mode ». L’enfant de travailleur migrant étant susceptible de rentrer dans son pays, le dispositif d’enseignement prend en compte cette réalité en mettant en place des « enseignements des langues et cultures d’origine » (Elco). Aujourd’hui, on parle d’élève « allophone » (en lien avec la circulaire de 2012) : ce terme, qui vient de la phonétique et signifie « qui a un autre phonème », par glissement sémantique a été utilisé pour dire « qui a une autre langue ». Ainsi, « allophone » dans l’esprit de l’Éducation nationale renvoie au public migrant et porte une représentation positive de l’enfant car, plutôt que de pointer l’absence et les carences par rapport à la langue française, ce sont les atouts et acquis dans d’autres langues, la pluralité du répertoire linguistique, qui sont mis en avant.
Aujourd’hui, on parle d’élève « allophone » (qui) dans l’esprit de l’Éducation nationale renvoie au public migrant et porte une représentation positive de l’enfant…
Évascol, une recherche pluridisciplinaire qui a débouché sur 76 préconisations
Vous êtes l’une des coordinatrices scientifiques du projet de recherche « Évascol » et de son rapport paru en juin 2018. En quoi consiste-t-il ?
Évascol répond à une commande du Défenseur des droits visant à mieux connaître les missions du Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav). Dans cette étude pluridisciplinaire associant sociologie, anthropologie, sciences de l’éducation, didactiques…, des chercheurs ont suivi des enfants relevant de l’obligation scolaire (6-16 ans). Cette recherche a requis deux ans de travail de terrain, dans des écoles élémentaires et des collèges implantés dans quatre académies : Bordeaux, Créteil, Montpellier et Strasbourg.
Pour estimer les compétences de l’élève, la cohérence entre ce qui lui était proposé en matière d’aménagement spécifique de l’apprentissage et ses besoins particuliers, des tests ont été proposés, et les résultats discutés avec les enseignants. Évascol se singularise par l’attention portée aussi au point de vue de l’enfant, exprimé notamment à travers les activités artistiques. Ainsi, ce sont des rapports subjectifs entre une structure, des individus et le parcours de l’enfant qui sont observés et analysés. L’enquête n’apporte pas une solution unique au mode de scolarisation de ces enfants, mais présente 76 préconisations2 adressées aux interlocuteurs institutionnels (ministère, académies, établissements, Casnav…), et qui s’attachent, en particulier, aux questions de pilotage (national, local) et de formation.
Évascol se singularise par l’attention portée aussi au point de vue de l’enfant
Les enfants migrants et l’inclusion scolaire
Quelle est la particularité des enfants relevant des Casnav en matière d’inclusion scolaire ?
Les élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) représentent moins d’un pour cent (1 %) de la population scolaire. En revanche, on ne comptabilise pas les enfants arrivés les années précédentes. Or il y a des besoins particuliers qui se poursuivent dans le temps. S’il y a eu de fortes mobilisations (de parents et de fédérations de parents d’élèves, d’associations et de syndicats) pour les enfants relevant des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), ce n’est pas le cas pour les enfants qui sont migrants parce que leurs parents sont souvent isolés et n’ont pas encore les compétences langagières pour comprendre le fonctionnement de l’École. C’est un public extrêmement défavorisé sur le plan de l’accès à l’information et sa cause est moins relayée. Sans être dans des situations de handicap, ces enfants relèvent cependant bien d’une problématique qui est celle de l’inclusion scolaire.
Comment ces enfants doivent-ils être scolarisés ? En classe ordinaire ? Dans des dispositifs fermés ?
L’objectif est qu’ils soient scolarisés en milieu ordinaire. Il est à noter que la circulaire de juin 2019 « Pour une École inclusive » n’englobe pas les élèves primo-arrivants. L’approche est restreinte à la question du handicap par volonté qu’il n’y ait pas amalgame. Cependant, l’absence de reconnaissance du besoin éducatif particulier dans le dispositif d’inclusion peut entraîner une démobilisation de moyens dans un contexte où l’on a besoin de davantage de dispositifs pour les élèves primo-arrivants. Le sujet de l’inclusion des élèves allophones (ou enfants de migrants) figurait dans les textes datant des années 1970, avec un vocabulaire différent, mais il s’agissait déjà de mettre en œuvre des dispositifs, avec un objectif d’inclusion rapide et la possibilité, également, que les élèves dès qu’ils arrivent soient scolarisés dans une classe ordinaire. Ce n’est donc pas nouveau en soi. Dans les faits, malheureusement, le principe n’a pas toujours été respecté, nombre d’enfants étant restés scolarisés en classe fermée.
Le sujet de l’inclusion des élèves allophones (ou enfants de migrants) figurait dans les textes datant des années 1970…
La scolarisation en unité pédagogique pour élève allophone arrivant (UPE2A)
Qu’en est-il du fonctionnement des UPE2A ?
L’UPE2A est un dispositif d’inclusion : à côté des cours d’apprentissage du français langue seconde, l’élève devrait suivre une partie de son enseignement en classe régulière et disposer d’un emploi du temps adapté. Les conclusions d’Évascol stipulent qu’un tel dispositif devrait s’accompagner d’une pédagogie inclusive dans les classes régulières, car pour les enseignants rarement formés à l’accueil des enfants allophones dans leurs cours, l’inclusion se résume à une inscription scolaire, alors que l’enjeu est de savoir comment mettre en place les gestes pédagogiques permettant à l’élève de mieux suivre et s’engager dans le travail en classe régulière avec un décalage linguistique ou scolaire.
Les conclusions d’Évascol stipulent qu’un tel dispositif devrait s’accompagner d’une pédagogie inclusive dans les classes régulières
D’autre part, l’inclusion nécessite une coordination : faire connaître où en est l’élève, informer la famille, etc. Si le professeur d’UPE2A peut remplir ce rôle, dans les faits il n’a pas de temps dédié – ni de prime, d’ailleurs, dans de nombreux établissements. Évascol préconise donc la reconnaissance de la mission de coordination. L’effectivité de l’inclusion requiert de déterminer comment sont réparties les tâches de coordination. Cela incombe-t-il à une personne ou à une équipe formée spécialement ? En l’absence d’un fonctionnement clair, le manque de temps et de formation à l’accompagnement pour exercer cette mission de coordination génère du mal-être chez l’enseignant d’UPE2A et joue à la défaveur du suivi des élèves. Évascol insiste aussi pour que soit précisé dans le projet d’établissement le type d’organisation retenu pour l’UPE2A…
L’effectivité de l’inclusion requiert de déterminer comment sont réparties les tâches de coordination. Cela incombe-t-il à une personne ou à une équipe formée spécialement ?
Quelle est la durée du maintien en UPE2A ?
Elle est d’un an pour les élèves scolarisés régulièrement antérieurement, et de deux ans pour les autres élèves qui passent donc une année en UPE2A-NSA (non ou peu scolarisés antérieurement), puis une année en UPE2A. Dans la réalité, les élèves ont besoin de durées variables pour apprendre, certains peuvent donc faire une deuxième année. Évascol pointe que ce maintien supplée l’absence de suivi après l’UPE2A que la circulaire de 2012 encourageait de développer. Mais l’Éducation nationale s’est surtout concentrée sur la première année d’entrants. Ses propositions pour la suite sont variables et lacunaires. Or c’est à ce moment-là qu’il y a des phénomènes de déscolarisation ou de non-orientation souhaitée. Le rapport porte aussi un certain nombre de recommandations en matière de suivi.
Après l’UPE2A…
Qu’est-ce qui pourrait être préconisé en matière de suivi à la sortie d’une UPE2A ?
Déjà que ce suivi existe. À la fin de la scolarisation en UPE2A, soit les élèves peuvent rester dans l’établissement en intégrant une classe régulière, soit ils retournent dans leur établissement de secteur et ce changement, pour des enfants migrants qui ont déjà dû quitter leur pays, peut être mal vécu3.
Le suivi minimal consiste aussi à assurer une transmission de l’information entre l’UPE2A et le nouvel établissement d’accueil. Ainsi, le suivi de cohorte tel qu’il est proposé dans Émigroscol, projet en cours auquel je participe, est crucial pour la question de l’orientation des EANA. Car en l’état actuel des choses, ce suivi est loin d’être systématique – même s’il y a une mobilisation de l’institution sur ce sujet et donc des avancées –. Se pose donc le double problème de veiller à la continuité de la scolarisation et de la transmission du dossier de l’élève avec ses résultats et l’identification de ses besoins.
Le suivi minimal consiste aussi à assurer une transmission de l’information entre l’UPE2A et le nouvel établissement d’accueil
Il est proposé aussi d’organiser des suivis linguistiques avec des professeurs formés (ce qui a été fait dans les académies enquêtées avec Évascol). C’est forcément délicat à mettre en place car les élèves concernés louperont des heures de cours de l’emploi du temps en classe ordinaire. Il faudra donc veiller à ce qu’ils puissent rattraper et ne soient pas mis en difficulté alors même que ce suivi est censé leur assurer un renforcement linguistique pour une meilleure acquisition dans l’ensemble des disciplines enseignées. Il n’y a pas une solution qui soit opérationnelle partout pour tous et toutes. Cela dépend des enfants et des besoins particuliers.
De la même manière, l’absence d’UPE2A n’est pas forcément dommageable pour les enfants. Une formation particulière existe et on peut constater, notamment en milieu rural, une forte implication des équipes éducatives pour compenser l’absence de professeur spécialisé. Le nombre d’UPE2A à l’échelle nationale étant restreint, on trouve par conséquent beaucoup d’établissements sur l’ensemble du territoire qui doivent accueillir un ou deux élèves allophones.
Il n’y a pas une solution qui soit opérationnelle partout pour tous et toutes. Cela dépend des enfants et des besoins particuliers.
Localisation des UPE2A
Qui décide de l’implantation d’une UPE2A ?
Les premiers dispositifs (appelés « classes d’accueil ») datent des années 1970. Ce sont davantage les grandes villes, là où les besoins pour gérer le flux sont les plus importants, qu’une UPE2A va être créée. Un établissement, par exemple un lycée où l’implantation d’UPE2A est rare, qui veut monter un projet sera accompagné par le Casnav, expert dans ce domaine, afin de le présenter à l’inspection. La création d’une UPE2A sera fonction des besoins, des moyens et de la pertinence du projet. Par exemple, il y a eu énormément de créations dans l’académie de Bordeaux ces derniers temps parce qu’il y a eu un réel accompagnement des projets…
Ces classes existent en école élémentaire, en collège, en lycée plus rarement. Y en a-t-il en lycée professionnel (LP) ?
En LP, il existe des dispositifs dont certains dépendent de la Mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) – auparavant c’était la mission générale d’insertion qui s’en occupait.
Il y a des besoins accrus en LP du fait de la présence de mineurs non accompagnés (MNA) qui, souvent, ont subi des ruptures de scolarité parce qu’ils ont dû fuir des situations dans leur pays et que le chemin de l’exil a été long et compliqué. Pour eux, obtenir très rapidement une formation diplômante est un enjeu crucial. D’où l’importance de dispositifs pour les accueillir tout au long de l’année, et les accompagner afin de leur permettre une insertion sociale dans un premier temps, et de commencer à travailler avec eux leur projet d’études pour une insertion professionnelle.
Il y a des besoins accrus en LP du fait de la présence de mineurs non accompagnés (MNA) qui, souvent, ont subi des ruptures de scolarité…
Comment (et pourquoi) intégrer une UPE2A
Qui décide de l’inscription en UPE2A ? Et qu’en est-il des délais d’attente entre la passation de tests et l’inscription en UPE2A dans le second degré ?
Pour le jeune enfant, l’inscription se fait en mairie. Une fois affecté dans une école, l’enfant aura une évaluation proposée pour identifier ses besoins particuliers. Il sera pris en charge par un enseignant habitué à ces évaluations ou qui se mettra en contact avec le Casnav pour être aidé. Cela varie d’une académie à l’autre, si l’école se trouve dans une grande ville ou à la campagne, et si c’est la première fois depuis plusieurs années qu’un enfant allophone arrive..
Dans le secondaire, une évaluation va déterminer l’affectation. La circulaire de 2012 encourage qu’elle soit réalisée dans un centre d’information et d’orientation, par un conseiller d’orientation psychologue (aujourd’hui appelé psychologue de l’Éducation nationale) ayant déjà travaillé avec le Casnav et, dans l’idéal, formé pour faire des bilans d’accueil de manière à saisir quel est le parcours de l’enfant pour estimer à quel niveau de classe le scolariser, pour identifier aussi quel est l’interlocuteur de l’établissement dans le cas des MNA…
Les activités de tests sont proposées, dans la langue de l’enfant, en compréhension de l’écrit et en mathématiques. L’objectif est d’avoir des indicateurs pour repérer des enfants qui auraient un écart très important (par exemple le cas des enfants non-lecteurs, non-scripteurs), de manière à anticiper et scolariser au plus près des besoins. Car il y a des cas d’enfants ne sachant ni lire ni écrire dont les établissements ont découvert la situation en cours de scolarité. À la suite des tests, un compte rendu est rédigé, qui peut être communiqué selon différentes voies, de façon à ce que l’inspection académique propose une affectation en concertation avec le Casnav vers une UPE2A si l’enfant en relève, ce qui n’est pas obligatoire. Par exemple un élève originaire de République démocratique du Congo, qui parle le lingala mais a fait sa scolarité en français, n’a pas forcément besoin d’intégrer une UPE2A. Le dispositif ne doit pas être ségréguant mais utilisé en fonction des besoins des élèves.
Les délais de passation des tests, de recueil des résultats puis de prise en compte par l’institution pour procéder à une affectation, sont variables d’une académie à une autre, car cela dépend des flux, de la période de l’année (en juillet et août, par exemple, il faudrait anticiper et étoffer les équipes), du nombre de formateurs qui croulent sous différentes tâches (formation continue, production d’outils et mise en ligne sur Internet, accueil des EANA et réalisation de bilans…). Évascol a préconisé de raccourcir ces délais de façon à ce que les élèves ne se retrouvent pas déscolarisés durant tout ce temps. Mais là encore, en comparaison du suivi de cohortes réalisé par Claire Schiff4 au début des années 2000, des progrès ont été faits. Des solutions ont été tentées, notamment des périodes d’accueil pour les jeunes en demande d’asile et dont le logement n’est pas connu. Les délais se réduisent, donc, mais pas dans toutes les académies.
Le dispositif ne doit pas être ségréguant mais utilisé en fonction des besoins des élèves.
Des initiatives institutionnelles…
Y a-t-il des académies pionnières dans la scolarisation des élèves allophones ?
Ce qu’il faudrait développer, c’est un meilleur pilotage national de façon à mutualiser toutes ces expérimentations qui sont performantes.
Je parlerais plutôt d’impulsions différentes. Pour donner quelques exemples, l’académie de Besançon est connue pour travailler avec les universitaires sur la scolarisation des enfants de maternelle ; le Casnav de Lille a beaucoup travaillé sur l’entrée dans l’écrit par les élèves non ou peu scolarisés antérieurement, les dimensions disciplinaires et la langue, etc. Ce qu’il faudrait développer, c’est un meilleur pilotage national de façon à mutualiser toutes ces expérimentations qui sont performantes.
Quelle a été la réception d’Évascol par l’institution scolaire ?
Cette dimension est au cœur de notre projet puisque les enseignants ont été associés (y compris durant les conférences, les restitutions publiques…). Dans la recherche, les chercheurs s’associent avec les praticiens qui, pour certains, deviennent aussi chercheurs en entreprenant des masters 2 ou des thèses de doctorat. Il y a une réelle collaboration dans la démarche de recherche et aussi dans l’offre de formation puisque l’Institut national supérieur de formation et de recherche sur le handicap et les enseignements adaptés (INS HEA)5 a ouvert un diplôme universitaire et un module de formation nationale à destination des chefs d’établissement, de professionnels (comme les orthophonistes…) et des enseignants.
—————–
1 Catherine Mendonça Dias, « Le poids des mots pour trouver sa place dans l’espace scolaire », dans Maria Causa, Valeria Villa-Perez (s/d), Plurilinguismes en construction : apprentissages et héritages linguistiques, Essais Revue Interdisciplinaire d’Humanités, université Bordeaux Montaigne, 2018.
2 Cf. Évascol, pages 363 à 373.
3 Delphine Guedat-Bittighoffer, « Les élèves allophones à l’épreuve de l’apprentissage d’une langue seconde : des politiques éducatives au processus de compréhension », thèse de doctorat en sciences du langage.
4 Claire Schiff et al. , Non scolarisation, déscolarisation et scolarisation partielle des migrants. Les obstacles institutionnels à l’accès des enfants et adolescents nouvellement arrivés en France à une scolarité ordinaire, rapport final pour le Fonds d’aide et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (Fasild), mars 2003.
5 Le projet de recherche Évascol a été porté par le Grhapes de l’INS HEA et par la mission recherche du Défenseur des droits.