Le Ministère entend déployer dès la rentrée prochaine la "méthode Singapour" pour les élèves. Avant cette éventualité, le Sgen-CFDT a voulu savoir pourquoi Singapour caracole en tête du classement Pisa et ce qu'était réellement cette méthode. Interview de Mike Thiruman syndicaliste singapourien.
Alors que Singapour arrive encore une fois en tête du classement PISA, le Ministère souhaite généraliser en mathématiques la « méthode Singapour » à partir de la rentrée prochaine.
L’échelle pourtant n’est pas la même puisque Singapour compte environ 370 écoles accueillant 500 000 élèves, du primaire au secondaire.
Qu’est-ce qui fait la réussite de ce système éducatif ? Le Sgen-CFDT a donc interrogé Mike Thuriman, Secrétaire général du syndicat enseignant STU (Singapore Teachers’ Union).
Pour vous, pourquoi Singapour est en tête du classement Pisa 2022 ?
Plusieurs facteurs contribuent à cette première place de Singapour dans le classement PISA 2022 dans les domaines de la lecture, des mathématiques et des sciences.
Le système éducatif :
- Un accent mis sur les fondamentaux :
Les élèves de Singapour doivent posséder des bases solides dans les disciplines telles que les mathématiques, la lecture et les sciences de l’école primaire jusqu’en secondaire.
On met donc l’accent sur cela dans notre système éducatif. Cette orientation pour nous fondamentale permet de renforcer la confiance, la compréhension et permet de préparer les étudiants à accéder à des concepts plus complexes pour la suite de leurs études.
- Des programmes rigoureux et des attentes élevées :
Le programme est exigeant et nécessite des efforts constants de la part des élèves.
Les enseignants fixent des attentes élevées et proposent une aide, un soutien solide pour aider à répondre à ces attentes. - Mettre l’accent sur la résolution de problèmes et la pensée critique :
Le programme va au-delà de la mémorisation « par cœur » et met l’accent sur la compréhension mais aussi l’application de concepts pour résoudre des problèmes du monde réel. Cela permet de développer les capacités de pensée critique et les capacités d’analyses des élèves. - Un enseignement efficace :
Les enseignants de Singapour reçoivent une formation approfondie et un développement professionnel. Ils sont hautement qualifiés et motivés pour dispenser un enseignement de qualité.
Des facteurs culturels :
- La société singapourienne accorde une grande valeur à l’éducation et à la réussite scolaire des enfants. Les parents soutiennent l’éducation de leurs enfants et les encouragent à progresser.
- Un système méritocratique : Singapour récompense le travail important des élèves et la réussite scolaire ce qui motive les étudiants à réussir.
- De faibles inégalités de revenus dans la population : par rapport à d’autres pays, Singapour présente des inégalités de revenus faibles. Cela permet donc à davantage d’enfants d’avoir un accès égal à une éducation et à des ressources de qualités.
D’autres facteurs :
- Investir dans l’éducation : Singapour investit massivement dans son système éducatif en fournissant un financement adéquat pour les ressources, la formation initiale et continue des enseignants et les établissements scolaires.
- Une amélioration continue et une capacité d’innovation : le système éducatif singapourien évolue constamment et s’adapte à l’évolution des besoins. Les enseignants sont ouverts aux nouvelles idées et mettent en œuvre des pratiques fondées sur des données probantes.
Il est important de dire que ce ne sont là que quelques-uns des facteurs qui contribuent au classement de Singapour à PISA. Même si ces résultats offrent des informations précieuses, ils ne doivent pas être considérés comme le seul indicateur de la qualité globale de l’éducation d’un pays. Il existe en effet d’autres facteurs comme le bien-être des élèves et l’apprentissage socio-émotionnel, qui jouent également un rôle crucial dans la réussite des élèves, des jeunes.
Comment alors expliquer la première place du classement PISA de Singapour ?
On pourrait dire que dans l’ensemble, la première place de Singapour peut être attribuée à une combinaison de politiques éducatives solides, de pratiques pédagogiques efficaces, d’un environnement favorable et d’un investissement continu dans notre système éducatif.
Cependant, il est essentiel de garder à l’esprit que la réussite éducative comporte de multiples facettes et que le contexte joue un rôle important. L’interprétation et l’application de ces apprentissages ne peuvent se faire d’un coup de baguette magique pour d’autres pays ou d’autres systèmes éducatifs. Il faut réunir un ensemble de choses que nous avons mis en place depuis longtemps.
Pouvez-vous nous décrire la méthode de Singapour pour apprendre les mathématiques ?
La Méthode de Singapour, également connu sous le nom d’approche « Concret – Pictorial – Abstrait (CPA) est basée sur l’approche du Psychologue cognitif Jérôme Bruner. C’est une manière unique pour enseigner les mathématiques, méthode que Singapour a choisi de développer.
Il s’agit de mettre en place une progression partant d’expériences pratiques avec des objets concrets, pour ensuite aller vers des représentations picturales et finir avec des concepts mathématiques abstraits.
- L’étape concrète commence par des objets du monde réel comme des blocs de comptage, des objets que les élèves vont manipuler, des droites numériques pour introduire les concepts mathématiques de manière tangible.
Cette étape permet aux élèves de construire une base solide, de donner un sens aux nombres et aux opérations de base. - Pendant l’étape picturale, l’élève passe aux représentations visuelles : dessins, diagramme et des modèles pour consolider la compréhension et combler le fossé entre les objets concrets et les symboles abstraits
- Enfin, pendant l’étape abstraite, on va présenter aux élèves les symboles et notations mathématiques formelles. L’élève doit cependant avoir une compréhension approfondie des étapes concrètes et picturales.
Cela leur permet de manipuler les symboles en toute confiance et de résoudre les problèmes de manière abstraite.
Quels avantages voyez-vous à cette méthode ?
J’y vois beaucoup de choses positives pour l’élève :
- Un sens des nombres plus fort :
L’accent est mis sur les éléments de manipulation et les représentations visuelles. Cela aide les élèves à développer une compréhension plus profonde des nombres, des relations entre les nombres et des opérations. - Des compétences améliorées en résolution de problèmes :
Les élèves apprennent à penser de manière logique et stratégique en manipulant des objets et en visualisant des concepts. Cela conduit l’élève à posséder de meilleures compétences en résolution de problèmes. L’objectif est là, donner du sens à ce que l’on apprend. - Un raisonnement et une communication améliorés :
Un élève qui explique son raisonnement en termes de représentations concrètes et picturales renforce sa pensée logique et ses compétences en matière de communication. - Une confiance et un engagement accrus :
La nature pratique et visuelle de la méthode rend l’apprentissage des mathématiques plus engageant, plus agréable, plus ludique. Dès lors, cela renforce la confiance des élèves et les rend plus motivés.
Des exemples ?
J’en vois deux :
- Ajouter des nombres à un chiffre :
Pour faire cela les élèves peuvent utiliser des blocs de comptage pour représenter les nombres puis les regrouper pour effectuer la somme - Comprendre les fractions :
Les élèves peuvent s’ils le souhaitent découper un cercle en papier en parties égales pour visualiser et ainsi concrétiser différentes fractions et les relations entre ces fractions.
Il est important de dire que « la Méthode de Singapour » n’est pas un ensemble de règles rigides. C’est plutôt un cadre pour l’enseignement des mathématiques.
Les enseignants disposent d’une grande autonomie pour l’adapter à leur programme spécifique et aux besoins de leurs élèves.
Quelles sont les conditions de mise en œuvre de la méthode de Singapour ?
Il faut avant tout un programme bien développé avec des ressources d’enseignement et d’apprentissages suffisantes fournies par le Ministère de l’Éducation.
L’enseignant doit être bien formé, comprendre l’intention de programme et être doté d’un répertoire d’outils pédagogiques lui permettant d’adapter ses pratiques. Il doit surtout posséder une compréhension approfondie des élèves de sa classe et de leurs capacités.
Comment, avec cette méthode, un élève en difficulté est-il pris en charge ? Quelle différenciation dans son parcours scolaire ?
Cela fait partie du travail quotidien des enseignants. Ils veillent à ce qu’il y ait une différenciation suffisante pour répondre aux capacités de chacun. Si des mesures de rattrapage sont nécessaires, c’est l’enseignant qui le fournira.
Comment les étudiants vivent-ils cette méthode en termes de quantité de travail, de temps de travail, de temps d’apprentissages ?
Les élèves de primaire ont au minimum cinq heures d’enseignement de mathématiques hebdomadaires. Ils ont aussi des devoirs si nécessaire pour renforcer l’apprentissage en classe, devoirs qui se font souvent dans l’établissement scolaire.
Comment travaillent les enseignants ? Quelle est leur formation ? Comment sont-ils accompagnés dans leurs établissements scolaires ?
Les enseignants sont hautement qualifiés et formés.
Ils bénéficient de formations professionnelles continues et basés sur les besoins des enseignants. Les enseignants échangent régulièrement entre eux sur les questions liées aux programmes d’études et ainsi adapter les progressions. Ces échanges entre pairs sont essentiels pour construire les apprentissages des élèves.
Pour bien comprendre, quelle est la semaine de travail d’un enseignant à Singapour ?
Un enseignant moyen a environ 20 à 24 heures d’enseignement devant élèves par semaine, hors préparation, correction et réunions de concertation.
En tant que syndicat, on estime que les enseignants travaillent en moyenne 54 heures par semaine. Pour cela, même si le Ministère fournit un soutien important en termes de formations initiale et continue et une rémunération adéquate, il faut selon moi, faire davantage pour garantir le bien-être des enseignants notamment de ne pas avoir trop de déséquilibre entre temps personnel et temps professionnel. Les soutenir est aussi important car enseigner est un travail très exigeant et stressant.