Entretien avec Solène Dia, chargée de projet régional pour la Cimade à Mayotte.
La Cimade est une association loi de 1901 de solidarité active et de soutien politique aux migrants, aux réfugiés et aux déplacés, aux demandeurs d’asile et à tous les individus en situation irrégulière.
La préfecture s’est vantée d’avoir reconduit des sans-papiers pour faire retomber les tensions et les violences. Qu’en est-il ?
Mi-mars, la préfecture a effectivement publié un communiqué dans lequel elle indiquait que les autorités avaient éloigné plusieurs centaines (597) de personnes vers les Comores. De cette manière, la préfecture a assuré à la population que les engagements pris par la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, avaient été suivis d’effets. Les tensions ne sont pas retombées pour autant, les barrages ne sont toujours pas levés et les expulsions communément appelées « décasages 1 » se poursuivent.
Les personnes en situation administrative irrégulière, c’est-à-dire qui n’ont pas de papier, vivent dans la peur…
Il est important de rappeler que Mayotte cumule de nombreuses difficultés depuis des années. Suite à des affrontements entre bandes rivales au lycée de Kahani et des caillassages de bus scolaires, les conducteurs de bus et les enseignants ont fait usage de leur droit de retrait. Dès lors, des manifestations ont été organisées afin d’exiger plus de sécurité et plus de moyens ; mais en quelques semaines, ce mouvement s’est transformé et a évolué, les revendications portant ensuite sur la lutte contre l’immigration clandestine. Plusieurs syndicats enseignants se sont d’ailleurs désolidarisés de ces mouvements. De fait, la question de la lutte contre l’immigration clandestine est devenue le fer-de-lance, le moteur de certains manifestants. Les personnes en situation administrative irrégulière, c’est-à-dire qui n’ont pas de papiers, vivent dans la peur. Elles sont vulnérables, les évènements de ces dernières semaines n’ont fait qu’aggraver leur précarité.
Quelles sont ces difficultés ?
Il ne s’agit pas de nier les problèmes de violence et d’agression qu’il y a sur l’ile – qui ne sont évidemment pas le fait des Comoriens uniquement –, mais l’on omet toujours d’évoquer des difficultés structurelles que l’on ne retrouve pas dans d’autres départements français : 84 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage atteint les 27 %, il n’y a qu’un seul centre hospitalier pour plus de 260 000 habitants qui n’ont d’ailleurs accès ni à la couverture maladie universelle (CMU) ni à l’aide médicale d’État (AME) – ce qui pose problème sur un plan sanitaire –, et le RSA n’est que la moitié de celui proposé en métropole alors que le cout de la vie y est plus élevé. Ajoutons à cela le fait qu’il y a un sous-investissement dans l’éducation, la santé ou l’emploi…
Mayotte est un territoire en sous-développement.
Plutôt que de pointer du doigt les défaillances et la responsabilité de l’État, il est plus facile de dénoncer l’immigration qui est devenue le bouc émissaire, le phénomène considéré comme à l’origine de tous les maux que connait l’ile. La ministre des Outre-mer, venue à la mi-mars à Mayotte, a renforcé ce sentiment puisque les mesures prises par le gouvernement concernent uniquement la lutte contre l’immigration clandestine et la sécurité.
Les chiffres qui circulent au sujet de l’immigration clandestine à Mayotte ne sont pas fondés…
En outre, les chiffres qui circulent au sujet de l’immigration clandestine à Mayotte ne sont pas fondés. Plusieurs rapports de l’Insee indiquent que la part de la population étrangère à Mayotte est de 40 %, stable depuis ces dernières années. La moitié de ces personnes est en situation régulière ou en voie de régularisation. Être étranger ne veut pas dire être sans papiers : un Américain peut être en situation régulière en France… Les responsables locaux et nationaux (notamment à l’Assemblée nationale) qui évoquent des statistiques farfelues ne font qu’alimenter ces fantasmes et jouer sur les peurs des gens. Cette méconnaissance souligne aussi un désintérêt pour Mayotte. Des enquêtes ont été menées par des instituts nationaux, et ces dernières ne sont même pas prises en compte…
En métropole, le droit des migrants et des étrangers n’est pas toujours respecté par l’État. Qu’en est-il à Mayotte ?
Rappelons qu’à Mayotte, il existe un système dérogatoire, les droits des étrangers ne sont pas identiques à ceux de la métropole. Par exemple, à Mayotte, un étranger en situation régulière, qui a une carte de séjour temporaire, ne peut pas aller en métropole ou dans un autre territoire ultramarin sans solliciter un visa – lequel, couteux, ne sera pas forcément nécessairement délivré – ce qui constitue une entrave à la mobilité. Tandis qu’un étranger en situation régulière en métropole pourra circuler dans tout l’espace Schengen et dans tous les départements français.
Les cartes de résident sont également plus difficiles à obtenir, puisque pour se voir délivrer une carte de 10 ans, qui permet de se rendre en métropole sans visa, il faut entre autres pouvoir justifier de conditions de ressources stables et suffisantes, et donc d’un emploi. Or, ces conditions de revenus sont extrêmement difficiles à justifier à Mayotte.
Qu’est-il arrivé aux personnes refoulées par les Comores et donc revenues sur le territoire ?
Les personnes refoulées ont été placées en zones d’attente. Aucune association n’étant habilitée, la Cimade a demandé l’habilitation auprès du ministère de l’Intérieur afin d’intervenir auprès des personnes déplacées en zone d’attente : 96 passagers, 72 adultes et 24 mineurs – dont 10 enfants de moins de 5 ans – ont été placés dans plusieurs zones d’attente. Actuellement, les personnes sont au Centre de rétention administrative (Cra) dans des conditions sanitaires alarmantes.
En zone d’attente, les conditions sont extrêmement difficiles…
Les femmes et les enfants (35 personnes) ont été placés dans une pièce de 45 m². Outre l’insalubrité, le fait qu’il n’y ait que deux toilettes pour 35 personnes, les personnes placées ne peuvent pas se laver tous les jours ; il n’y a pas non plus de change ou de couche pour les enfants. Aucun espace de loisir n’est prévu, les enfants sont nerveux, car tenus constamment enfermés dans cet espace confiné et ne cessent de pleurer.
Les conditions sont extrêmement difficiles et ces personnes seront bientôt retenues depuis près de 10 jours. Ils y sont, car ils n’ont pas de papiers : ils n’ont commis ni crime ni délit ; certains avaient entrepris des démarches pour être régularisés ; d’autres, qui sont parents français, ont été tout de même interpelés et abusivement transférés en Cra alors qu’ils sont en situation de droit.
Que revendique la Cimade ?
Nous attendons de l’État un alignement du régime de Mayotte sur celui de métropole, afin que les personnes régularisées puissent circuler librement. Nous souhaitons l’égalité réelle pour toutes et tous. La Cimade est une association qui a pour but de manifester une solidarité active avec les personnes opprimées et exploitées. Elle défend la dignité et les droits des personnes migrantes et réfugiées. Les étrangers ont des droits qui doivent être respectés. Notre mission est d’aider les personnes dans leurs démarches administratives, nous continuerons à les accompagner. Et bien sûr, nous continuerons à alerter l’opinion et à interpeler l’État sur ses responsabilités et les droits bafoués des personnes étrangères à Mayotte.