Déclaration liminaire du CSAMEN du 3 avril 2023
Retirer la réforme des retraites pour remettre le travail des actifs au cœur du débat
Depuis le mois de janvier, des millions de françaises et de français, de tous métiers, se sont mobilisé.e.s lors de journées nationales d’actions intersyndicales pour dire leur opposition à une réforme des retraites injuste, inefficace et brutale.
Avec l’enfermement de l’exécutif dans une posture de passage en force, alors que la réforme est rejetée par 9 actifs et actives sur 10, nous vivons non seulement une crise sociale majeure, mais désormais aussi une crise démocratique et politique. Le gouvernement doit reprendre le dossier à l’endroit et sans caricaturer la situation financière du système de retraites. Les perspectives de déficit sont faibles relativement au volume global des pensions versées.
Toucher aux retraites, c’est forcément toucher au travail. Il est donc temps de retirer cette réforme, de parler d’abord du travail, des conditions de travail, de la reconnaissance du travail, et sur les questions financières, de réunir une conférence de financement pour répartir de manière juste les efforts qui s’avéreraient nécessaires.
Redonner du sens au travail pour les personnels de l’Education nationale
Dans notre ministère, c’est aussi du travail qu’il convient de parler pour lui redonner du sens, en assurer la reconnaissance alors que, dans tous les métiers qui font l’Education nationale, les alertes sont majeures. Les difficultés à recruter des personnels, et donc à pourvoir les postes, concernent quasiment tous les métiers.
Partout, les CHSCT et maintenant les formations spécialisées santé et sécurité au travail, examinent et débattent de rapports qui font état de l’épuisement professionnel de nos collègues. Il y a urgence, non pas à inventer un nouveau ”travailler plus pour gagner plus » que le gouvernement appelle ‘’pacte enseignant’’. Il y a urgence pour tous les métiers à revaloriser les rémunérations, à améliorer les conditions de travail.
L’école inclusive manque cruellement de moyens humains
Partout, les collègues nous disent à quel point l’école inclusive manque de moyens pour être bien réalisée, et combien elle est entravée par une organisation qui reste calibrée pour la performance scolaire sur un modèle unique, loin de la conception universelle des apprentissages. Les collègues souffrent d’avoir le sentiment, la conviction, hélas souvent légitime, de mal faire leur travail qu’ils et elles souhaiteraient bien faire. Ils souffrent de voir des élèves en souffrance.
Ils et elles manquent de soutien, soit parce que les professionnels qui devraient les épauler ne sont pas là, les personnels du médico-social, soit parce qu’on leur enjoint de faire l’école inclusive quoi qu’il leur en coûte. Les médecins scolaires, les PsyEN, les assistant.e.s sociales, les infirmières, les enseignant.e.s référent.e.s, trop peu nombreuses et nombreux ne peuvent pas toujours suffisamment travailler avec les familles, avec les équipes enseignantes pour que l’inclusion pédagogique se passe mieux. Cela ne peut plus durer.
Collège et lycée : des réformes qui passent mal
Au collège, une réforme est annoncée avant d’être organisée et génère des tensions sur la préparation de la rentrée, tensions qui concernent aussi bien les personnels de direction que les enseignant.e.s du 1er comme du 2nd degré.
Au lycée, la réforme ratée du baccalauréat déstructure le travail des enseignant.e.s, la course aux programmes surchargés et à des épreuves mal calibrées pour le moment où elles se déroulent, tout cela génère un mal-être au travail de plus en plus fort.
La nouvelle mouture du « pacte » et les enseignants non remplacés
Sur le projet de “pacte” enseignant, dont nous ne connaissons pas la dernière mouture, vous connaissez notre désaccord. Dans une interview toute récente du ministre, le “pacte” se résume au remplacement de courte durée dans le 2nd degré, sujet abordé de la plus mauvaise des manières en affirmant qu’il y a, je cite : “15 millions d’heures non remplacées à cause des absences de courte durée”. Or 15 millions d’heures, d’après la Cour des Comptes, ce sont les absences d’enseignants devant élèves qu’elle qu’en soit la durée. Les absences de courte durée représentent 2,5 millions d’heures et plus de 500 000 sont remplacées.
Construire de mauvaises politiques publiques sur des contre-vérités, c’est à l’opposé de ce dont le système éducatif a besoin. Il serait temps de reprendre ce sujet à l’endroit : parlons du travail, des conditions de travail, de la santé au travail des enseignant.e.s et sortons du travailler plus pour gagner plus.
Partageons des éléments fins d’analyses des absences devant élèves non remplacées à hauteur d’élève : combien d’heures de cours perdues faute de remplaçant en moyenne par élève, et regardons de près la répartition géographique des écarts à la moyenne, regardons de près les remplacements longs dont tout le monde détourne le regard et qui pénalisent les parcours scolaires des élèves. Nous constatons que ces remplacements longs non assurés concernent davantage les établissements scolarisant les publics les plus défavorisés. Cette question est prioritaire, et ce n’est pas le pseudo pacte qui apportera une solution.
Difficile de rationnaliser notre administration dans une Education nationale déjà sous-administrée
Alors qu’une énième mission parlementaire semble imaginer qu’il est encore possible de “rationaliser notre administration” pour réaliser “des économies budgétaires”, le Sgen-CFDT le rappelle avec force : l’Education nationale est sous-administrée. Les personnels administratifs sont les premiers à en souffrir : conditions de travail dégradées par une charge de travail démesurée, et pour elles et eux aussi l’impossibilité de bien faire leur travail au bénéfice des autres agents et de la continuité du service éducatif.
Dans ce contexte déjà dégradé, les récits que nous font les collègues du déploiement de RenoiRH dans les services déconcentrés, et de Op@le dans les EPLE confirment, et vont même au-delà de ce que nous redoutions. Pas de main invisible pour affecter les enseignants, pas de bouton magique pour assurer la paie de plus d’un million de personnels, pour mettre en œuvre les nouveautés indemnitaires au fil de l’eau : l’École ne fonctionne qu’avec tous les personnels de l’Education nationale.
CSA locaux : ne bridons par la parole des élus
Cette réalité du travail a parfois du mal à trouver sa place dans les CSA locaux, des recteurs restreignant parfois trop le cadre des débats, minimisant la parole de nos élu.e.s et mandaté.e.s qui portent la voix des personnels. Au dernier CSA, nous avions évoqué l’enjeu de la formation des cadres académiques au dialogue social : déroulement des CSA et FS, mais aussi opportunités de négociation d’accords locaux, dialogue avec les organisations syndicales représentatives.
Ce chantier est indispensable pour ne pas décupler au niveau local le sentiment que les réalités de travail ne sont pas vues, pas prises en considération. C’est indispensable si on ne veut pas décourager l’engagement, si on veut (re)donner du sens au travail et aux élections professionnelles. Il y a, là aussi, un enjeu démocratique.