Comment rendre désirable la transition écologique, se demande Paul Magnette dans son livre La Vie large. Manifeste écosocialiste (paru en octobre 2022), mais aussi dans sa pratique politique quotidienne.
Enseignant et homme politique belge,
* propose dans son livre La Vie large une réflexion pour rendre efficiente et juste l’écologie politique. Nous connaissons les périls, nous avons les moyens de les atténuer, alors pourquoi tardons-nous autant à agir pour réussir la transition écologique ?*
Votre livre s’intitule La Vie large. Manifeste écosocialiste. Pourquoi un manifeste ?
L’actuelle social-démocratie a besoin d’un aggiornamento. Son modèle est le productivisme et la répartition des gains de la croissance, mais il faut aujourd’hui pleinement tenir compte des limites physiques naturelles, y compris humaines (le besoin de repos, d’alimentation, la pénibilité du travail…), ce qui suppose d’interroger notre lien à la croissance et à la productivité. J’avance des propositions pour susciter le débat sur des éléments doctrinaux essentiels de notre identité socialiste.
Pensez-vous qu’une utopie puisse faire changer les choses en une génération ?
L’écologie politique a été jusqu’ici formalisée sous l’angle du danger et des restrictions, en sorte que ce n’était pas l’aspiration à un autre monde mais la peur de la catastrophe qui devait guider l’action. Or la peur, ou bien tétanise, ou bien provoque l’écoanxiété, et conduit à une forme de repli sur soi, de préparation à un effondrement jugé inéluctable, voire à l’autoritarisme vert.
L’histoire du mouvement ouvrier montre bien qu’à côté de la colère qui mobilise, on a besoin d’espoir. C’est le rôle d’une utopie concrète de dépeindre un monde désirable, non pas de manière abstraite mais pratique. Pour rendre l’écologie désirable, en particulier auprès des milieux populaires, il faut répondre aux questions sociales. Je le vois dans ma fonction de maire : au lieu d’ajouter des restrictions à leur vie déjà difficile, il faut leur assurer « la vie large » comme le préconisait Jaurès, en expliquant qu’en contrepartie d’une baisse de la consommation d’énergie fossile, leur logement sera isolé, l’offre de transports en commun sera renforcée et gratuite, les cantines scolaires seront gratuites et approvisionnées avec des aliments produits à proximité, la nature s’étendra en ville…
C’est le rôle d’une utopie concrète de dépeindre un monde désirable, non pas de manière abstraite mais pratique. Pour rendre l’écologie désirable, en particulier auprès des milieux populaires, il faut répondre aux questions sociales.
Le génie de Jaurès était de dessiner un horizon désirable articulé à des mesures concrètes. C’est donc toute une pédagogie politique de ce « réformisme révolutionnaire », comme il l’appelait, qui doit être réinventé dans le cadre de la transition climatique.
Pourquoi la transition écologique ne peut-elle se faire sans transition sociale ?
Il y a une profonde inégalité sociale au cœur des questions écologiques : en France, la population appartenant à la moitié la moins riche émet 6 tonnes de CO2 quand le 1 % le plus riche en émet 110 ! Pour atteindre l’objectif de 2 tonnes de CO2 par habitant, l’effort devra venir des plus riches.
Il y a une profonde inégalité sociale au cœur des questions écologiques
Ensuite, pas de transition climatique possible sans un vaste plan d’investissement, notamment public, pour mener à bien les mesures concrètes massives que j’évoquais (isolation du bâti, développement des transports en commun, etc.). Or ce n’est pas dans la taxation, déjà élevée, des revenus du travail ou de la consommation qu’on trouvera l’argent, mais dans celle du capital et des revenus du capital : une taxation d’1 à 2,5 % peut générer le 1 à 1,5 % de PIB nécessaire pour financer ce plan d’investissement.
Enfin, il y a une question d’équité : tout le monde va devoir changer son mode de vie, mais beaucoup moins les milieux populaires car non seulement leur bilan carbone est assez faible mais il est aussi souvent contraint, par exemple du fait de logements qui sont des passoires énergétiques. Aussi, avant de demander aux retraités, anciens ouvriers qui ont travaillé dur toute leur vie, de faire moins de citytrips et de privilégier le tourisme local, encore faut-il interdire les jets privés, sinon on ne peut pas créer l’indispensable sentiment d’équité… transition écologique
Pour réussir la transition, vous défendez la démocratisation, notamment de l’économie. En quoi la démocratie est-elle plus efficace ?
Les citoyens acceptent difficilement l’autoritarisme en matière de politique publique. Le budget climatique doit être débattu au parlement en associant le Comité économique, social et environnemental (donc les partenaires sociaux), mais aussi des panels citoyens pour faire remonter les initiatives locales.
Le budget climatique doit être débattu au parlement
Par ailleurs, l’économie et les entreprises doivent être plus démocratiques. Décider de ce que l’on produit et comment, est politique, or sur les choix stratégiques, les plans d’investissement, la politique de rémunération – des éléments cruciaux orientant la production et donc l’organisation de la société –, les salariés et les syndicats ne sont pas ou sont peu consultés.
Décider de ce que l’on produit et comment, est politique
Un dernier pilier est la démocratisation de la consommation : des normes publiques, telles que l’interdiction de l’obsolescence programmée ou le suremballage, doivent être démocratiquement délibérées. transition écologique
Aujourd’hui, de nombreux politiques considèrent les fonctions publiques comme un coût…
Les services publics ont toujours été fondamentaux dans le développement des sociétés et de leur économie, et le sont encore plus dans la perspective de la transition climatique. Prenons la question, essentielle, du bâti. Si l’on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre, la méthode la plus efficace consiste à isoler massivement les bâtiments publics, les logements et à créer des régies publiques d’isolation, même pour les logements privés. On a vu que laisser le marché s’en occuper ne fonctionnait pas.
Je ne dis pas que tout doit être nationalisé, mais les services publics doivent offrir des solutions plus justes et plus efficaces. Par exemple, si chacun prépare son repas à la maison ou l’achète sous emballage plastique, le bilan énergétique et en matières premières est très mauvais ; au contraire, développer la restauration collective améliore le coût énergétique des repas et la gestion des matières premières (en privilégiant les circuits courts). Autres vertus : on économise du temps – notamment celui des femmes qui, majoritairement, cuisinent les repas – et on crée de l’emploi !
Je ne dis pas que tout doit être nationalisé, mais les services publics doivent offrir des solutions plus justes et plus efficaces.
Des solutions collectives et publiques peuvent se révéler meilleures que des réponses strictement privées. Les exemples sont multiples dans d’autres secteurs comme les transports ou, dans une moindre mesure, la production des biens et services de consommation, qui sont avec le bâti et l’alimentation les grands secteurs dans lesquels nous devons limiter les émissions de gaz à effet de serre tout en proposant un modèle de société à la fois plus efficace, juste et équilibré.
Quelle place à l’action syndicale dans la transition écologique ?
Son rôle est crucial car la transition environnementale va détruire et créer des millions d’emplois. Des secteurs de l’économie grise vont disparaître, des actifs être déclassés, et malheureusement aussi des travailleurs. Seules des politiques de reconversion professionnelle permettront d’éviter des catastrophes humaines et sociales.
L’économie et les entreprises doivent être plus démocratiques : il faut repenser les comités d’entreprise, les comités d’entreprise européens, s’attaquer aux procédures de licenciement, de reclassement ; enfin, favoriser la participation des salariés à la stratégie d’investissement de leur entreprise. Toutes ces questions sont fondamentalement syndicales. transition écologique
1971 : Naissance à Louvain.
1999-2000 : Professeur invité à l’IEP de Paris.
Depuis 2001 : Professeur de science politique à l’Université libre de Belgique (ULB).
2001-2007 : Directeur de l’Institut d’études européennes de l’ULB.
2007 : Ministre wallon de la Santé.
2007-2011 : Ministre fédéral du Climat et de l’Énergie.
2011-2013 : Ministre fédéral des Entreprises publiques, de la Politique scientifique et de la Coopération au développement.
Depuis 2012 : Bourgmestre de Charleroi (réélu en 2018).
2014-2017 : Ministre-président de Wallonie.
Depuis 2019 : Président du Parti socialiste belge.
La Vie large. Manifeste écosocialiste, éditions La Découverte, octobre 2022.
Le chant du pain. Petit traité de l’art boulanger, photographies de Jean-Pierre Gabriel, Renaissance du Livre, septembre 2019.
CETA. Quand l’Europe déraille, Luc Pire, mars 2017.
Au nom des peuples. Le malentendu constitutionnel européen, éditions du Cerf, avril 2006.
Vers un renouveau du parlementarisme en Europe ?, coédité avec Olivier Costa et Éric Kerrouche, collectif, éditions de l’Université de Bruxelles, janvier 2004.
Cet entretien a paru dans le no 289 – Janvier-février 2023 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.