Un extrait de cet entretien a paru dans le dossier « Conditions de travail : prévenir plutôt que subir » de Profession Éducation (n° 274 - Janvier-février 2020), magazine du Sgen-CFDT.
est conseiller de prévention des services administratifs de l’académie de Lille (voir son parcours en fin d’article).
Ce qui est très intéressant dans cette fonction, c’est qu’on voit les gens, dans leur élément, sur leur lieu de travail…
Avec un DUT hygiène et sécurité en poche, j’ai passé un an en Angleterre pour voir comment c’était ailleurs.
Je me vis comme quelqu’un d’engagé (par exemple, j’ai été pendant vingt ans sapeur pompier volontaire), aussi, après avoir travaillé au sein de la grande distribution dans le privé, j’ai intégré le secteur public, plus précisément l’enseignement supérieur.
J’ai été chargé de prévention à l’université de Poitiers, puis j’ai exercé pendant cinq ans comme inspecteur santé et sécurité au travail pour le premier et le second degrés dans l’académie de Lille (une académie très petite en taille – seulement deux départements – mais très dense structurellement : 3 500 écoles, 500 établissements publics locaux d’enseignement, 80 000 agents). Ce qui est très intéressant dans cette fonction, c’est qu’on voit les gens, dans leur élément, sur leur lieu de travail…
L’ISST contrôle que, sur le terrain, il y a bien une adéquation des pratiques dans la thématique de la santé et de la sécurité au travail avec les règles définies, notamment en ce qui concerne les risques professionnels, le document unique en étant la quintessence, auquel s’ajoute, depuis 2013, la gestion des risques psychosociaux − qui est peu technique, s’appuie davantage sur les sciences humaines, et relève donc de compétences différentes, demandant aux équipes de direction une approche en termes de management, et un suivi de celui-ci. À mon sens, l’approche managériale n’est pas suffisamment développée dans les formations initiale et continue des personnels de direction.
En tant qu’ISST, j’ai commencé à travailler plutôt sur la partie réparation. Mais j’ai vite remarqué qu’il serait avantageux de privilégier la prévention pour éviter d’intervenir une fois les dégâts constatés. Pourtant, il fallait miser sur l’aspect humain, à savoir les compétences, les connaissances, les formations que les uns et les autres peuvent acquérir pour être autonomes et ne pas se mettre dans des situations où le système est obligé de pallier leurs défaillances…
Les ISST, de manière générale, vont mettre le doigt sur des situations qui assombrissent l’image que l’institution se donne à elle-même. Le fait de les dénoncer peut être mal compris, mal interprété et au lieu que cet éclairage serve de base de travail, cela va plutôt fonctionner comme repoussoir.
J’ai exercé cette fonction pendant cinq années durant lesquelles j’ai été confronté à des situations qui m’ont demandé de faire un choix : ou je continuais à me « prendre la tête » avec mon administration sur des cas qui me paraissaient ne pas aller dans le sens de l’institution, ou je prenais soin de moi et j’évitais la dépression…
Les ISST, de manière générale, vont mettre le doigt sur des situations qui assombrissent l’image que l’institution se donne à elle-même.
J’ajouterais comme nuance que les chefs d’établissement – qui sont des anciens enseignants avec une très haute valeur ajoutée dans leur métier – ne bénéficient, en matière de management, que d’une année de formation, laquelle a intégré cette dimension très tardivement et pas spécialement dans de bonnes conditions.
De plus, dans les établissements scolaires du second degré, les enseignants sont soumis à deux supérieurs hiérarchiques : l’inspecteur pédagogique régional (IPR) est le référent pour la spécialité (français, maths…), et le principal, ou le proviseur, est le supérieur administratif. Les personnels sont donc soumis à une double tutelle, et quand une situation est difficile, ils vont vers le plus proche, le chef d’établissement, qui leur dit souvent que ça leur semble relever de la pédagogie, donc de l’IPR. Ensuite la « partie de ping pong » commence.
Au-delà du contrôle qu’il fait in situ dans un établissement pour vérifier l’application des règles (mise en place du document unique…), un ISST agit surtout, voire seulement, comme arbitre au sein des CHSCT : son rôle est de rappeler que cette instance a des limites qu’il ne faut pas dépasser au risque d’être inopérante.
Ce que j’ai constaté quand j’étais ISST, c’est que les représentants des personnels, pour beaucoup, étaient insuffisamment formés. Ils mélangeaient le combat syndical de tous les jours – qui est la défense de chacun des agents en situation compliquée –, et la représentation des personnels dans leur globalité. Les questions et les enjeux n’étant pas clairement posés, les CHSCT semblent alors ne pas répondre aux attentes de l’agent… Les représentants de l’administration ne sont pas mieux formés.
Ce sont les conditions sine qua non qui opèrent à travers les outils règlementaires que l’administration doit mettre en place : le registre Santé et sécurité au travail, le droit de retrait pour danger grave et imminent, la mise en place du document unique – fait avec les agents –, dans lequel se sont dernièrement intégrés les risques psychosociaux (RPS) qui sont d’une nébulosité fabuleuse ! Même pour ceux qui connaissent un peu le sujet, on s’aperçoit que chaque cas particulier nécessite une approche différente
(…) aujourd’hui, à mon sens, le problème majeur qui se pose dans de nombreux services, c’est de définir : qui, quoi, quand, comment, où ?
Il est essentiel, dès le départ, de poser les bases (avez-vous une fiche de poste ? avez-vous une définition précise de ce qu’est l’activité dans l’ensemble des services ?…), car quand les agents ne se repèrent pas, ils ignorent leur place dans le service et laissent libre cours à leur imagination qui, parfois, est positive et fait qu’on a des travailleurs globalement très investis quand ils vont bien. Un agent démotivé, en burnout, ou en dépression, et qui se retrouve arrêté, pèse sur le collectif dans la mesure où la charge de travail n’étant pas comprise, va se trouver répartie entre les collègues restants. Donc aujourd’hui, à mon sens, le problème majeur qui se pose dans de nombreux services, c’est de définir : qui, quoi, quand, comment, où ?
C’est la problématique de la définition du travail et des indicateurs que chacun se donne, ou que les services se donnent pour savoir quelle est la situation et quel est son avancement. C’est ce que j’appelle la parabole de l’agriculteur qui laboure : il voit ce qu’il a fait dans son champ et ce qu’il reste à faire.
Aujourd’hui, dans les services de l’administration de l’Éducation nationale, dans les établissements, s’il n’y a pas un suivi régulier pour savoir où en sont les élèves ou les services dans leur progression, on ignore si le travail effectué sert ou non.
Mais avant de donner les moyens, il faut se poser la question de la finalité. Il faut savoir précisément à quoi sert un poste, et si l’analyse montre qu’on peut s’en passer, il faut être en mesure de réorienter l’agent sur d’autres tâches (en tenant compte de sa situation personnelle, de ses performances, ses compétences…), tâches qui correspondent aux attentes du service, pour le bien collectif de l’institution. Cela relève du management pur et dur !
(…) avant de donner les moyens, il faut se poser la question de la finalité.
De la même manière, maintenant que j’exerce en service administratif centralisé au sein d’un rectorat, ce sont les chefs de service qui disent recevoir des injonctions (certaines paradoxales, parfois durant une même journée) pour effectuer des tâches dont ils ne savent pas à qui ni à quoi elles vont servir.
Je pense que le seul endroit où l’on parle de (son) travail, c’est à la machine à café : c’est là qu’il est le plus question du boulot réel, de situations qu’on arrive à détricoter « sur un coin de table », mais qui ne sont pas suffisamment construites pour déboucher sur des solutions pérennes, même si l’implication est très grande.
en 2020, (…) très peu d’établissements ont un véritable document unique d’évaluation des risques professionnels avec un plan d’action pertinent…
La question est de savoir ce que l’administration met en place avec vous, pour vous, mais pas contre vous… L’obligation du DU date de 2001 (applicable en 2002), et en 2020, on voit que très peu d’établissements ont un véritable document unique d’évaluation des risques professionnels avec un plan d’action pertinent… La philosophie à l’origine de la mise en place du DU est d’installer un travail de concertation. Hélas, le législateur n’a pas obligé chaque document unique à avoir un cadre. Comme il n’y a pas de support technique, précis, le DU n’est pas mis en place, ou il l’est mal.
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Le parcours d’Olivier Casals en quelques dates :
DUT en hygiène, sécurité, environnement (HSE) à Bordeaux.
Bachelor of Science (B.Sc.) in Fire Safety (licence en sciences physiques) à l’université de Preston (Grande-Bretagne) – Erasmus.
Différents postes dans le privé comme préventeur : Carrefour, Pic du Midi, formateur au certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (Caces) cariste…
Conseiller de prévention (Acmo) à l’université de Lille 3.
Conseiller de prévention du président de l’université de Poitiers.
Inspecteur santé et sécurité au travail (ISST) pour l’académie de Lille.
Détachement au secrétariat général du ministère de la Justice (en région Hauts-de-France) comme référent santé, sécurité au travail et handicap.
Conseiller de prévention des services administratifs de l’académie de Lille.