Guillaume Duval, Marie-Aleth Grard et Denis Paget, membres du CSP, co-signent une lettre ouverte, en réaction à l'interview accordée par sa Présidente, Souad Ayada, à l'hebdomadaire Le Point. Avec leur accord, nous publions cette lettre.
Réaction bienvenue de @AlethGrard, @gduval_altereco et Denis Paget, membres du #CSP suite à l’itw de sa présidente au @LePoint : cette instance n’est pas là pour entretenir un climat de #défiance et de revanchisme dans @EducationFrance. @SgenCFDT https://t.co/3q89MyKvqp
— Alexis Torchet/ CFDT Educ Form Rech publiques (@atorchet) July 4, 2018
Le texte de la lettre ouverte
Nous sommes membres du Conseil supérieur des programmes (CSP) de l’Éducation nationale et avons pris connaissance avec surprise de l’interview accordée à l’hebdomadaire Le Point par Souad Ayada, sa présidente, au sujet des adaptations apportées aux programmes de 2015 que nous venons d’adopter. Aucun programme n’est jamais parfait et il est bien entendu normal de les faire évoluer au regard de la pratique et des difficultés rencontrées sur le terrain. Nous avons activement et positivement participé à ce processus, mais celui-ci n’implique pas nécessairement de dénigrer le travail du Conseil supérieur des programmes au cours de la législature précédente. La présentation faite dans l’interview du Point des modifications apportées aux programmes de 2015 par le CSP est en effet erronée sous plusieurs aspects.
1. Les programmes de 2015 prévoyaient déjà le même nombre de lectures obligatoires d’œuvres complètes à réaliser avec les élèves que celui qui vient d’être adopté. Par ailleurs, il n’avait bien évidemment jamais été question dans ces programmes de permettre aux enseignants de « négocier la grammaire avec les élèves ». Les programmes de 2015 consacraient 18 pages à « l’étude de la langue » pour les 3 cycles. Cette étude comporte, comme il est bien précisé dans la parenthèse qui l’accompagne, la grammaire, l’orthographe et le lexique. Laisser entendre qu’avec les programmes de 2015 on aurait renoncé à faire apprendre la grammaire scolaire est donc inexact et déplacé.
2. Quant à l’affirmation selon laquelle on aurait alors remplacé le complément d’objet direct (COD) par le prédicat, quoique souvent répétée depuis 2015, elle est fausse également dans la mesure où cette notion, classique chez les grammairiens et utilisée dans les autres pays francophones, comprend bien sûr tous les compléments essentiels du verbe que les programmes de 2015 n’avaient pas effacés pour autant. Le souci du CSP avait été de penser une progressivité de ces apprentissages sans noyer très tôt les élèves sous l’avalanche d’une terminologie grammaticale complexe comme le faisaient les programmes de 2008 qui n’avaient en rien inversé la tendance à l’affaiblissement des compétences d’expression écrite et orale des élèves. Par ailleurs, le fait que ces programmes de 2015 prévoyaient de limiter l’apprentissage du passé simple au cycle 3 (CM et 6ème) à la 3ème personne, n’excluait évidemment pas que les enseignants leur apprenne le passé simple des autres personnes au cycle 4 et au-delà, au moment d’étudier des œuvres littéraires anciennes qui les auraient utilisées. Mais Phèdre de Racine n’a jamais été enseignée en 6ème. Ce choix peut bien entendu être discuté mais en conclure que ceux qui l’avaient fait, auraient méprisé les élèves de milieu populaire est là aussi inutilement blessant et parfaitement déplacé.
3. De même ces programmes incitaient bien sûr déjà les enseignants à réaliser toutes sortes de dictées. Quant aux simplifications orthographiques apportées en 1990 à notre langue par l’Académie française, elles restent optionnelles et, étant très rarement pratiquées et enseignées, sont peu utilisées pour l’instant. Pour autant elles ont été publiées au Journal officiel et il n’appartient évidemment pas au CSP de décider ou non de les abandonner.
4. Les programmes d’enseignement moral et civique ont quant à eux été totalement revus. Cette refonte a excédé largement le mandat confié par le ministre au CSP et a été réalisée dans des conditions très insatisfaisantes. Son résultat a profondément divisé le CSP. Ce nouveau programme remplace celui de 2014 qui avait été longuement mûri et n’avait pas fait l’objet de critiques particulières. La présidente du CSP en retient surtout la demande de faire apprendre pendant trois ans aux enfants le premier couplet de la Marseillaise. Cette insistance traduit bien une profonde incompréhension de ce que peut et doit être la formation civique et morale de nos enfants au XXIème siècle et l’indigence de ce nouveau projet de programme.
Nous ne comprenons pas cette volonté de créer des camps retranchés artificiels sur ces questions de programmes. Y contribuer c’est prendre le risque d’affaiblir la confiance en l’institution scolaire que notre ministre évoque souvent à juste titre comme la clé de la réussite de nos enfants. L’Éducation nationale est essentielle pour l’avenir de notre pays et de ces jeunes générations. Pour accomplir sa mission, elle aurait besoin de stabilité et de continuité et non pas de subir des coups de boutoirs désordonnés et des polémiques mal informées à chaque changement de majorité politique. Dépassionner et dépolitiser les débats sur les programmes en confiant leur élaboration à une instance pluraliste et indépendante, c’était la volonté du législateur lorsqu’il a créé le Conseil supérieur des programmes (CSP). Il importe à nos yeux que chacun au sein de ce Conseil, et particulièrement bien entendu celles et ceux qui le dirigent, contribuent à dégager les consensus les plus larges possibles sur ces questions plutôt que de chercher à cliver la communauté éducative et l’opinion.