En cette semaine mondiale de l’Éducation, le Sgen-CFDT a choisi de faire un focus sur "l’Éducation en temps de guerre". Parole est donnée à Olha Chabaniuk, syndicaliste d'Ukraine du TUESWU qui nous parle de la situation des enfants, des enseignants depuis l'invasion russe, il y a deux ans déjà !
La situation internationale s’est particulièrement tendue sur un certains nombre de pays dans le monde. Les guerres, les conflits ont toujours des conséquences importantes pour l’Éducation, pour la sécurité des enfants notamment, souvent victimes collatérales des combats. Focus aujourd’hui sur la situation en Ukraine : Olha Chabaniuk, enseignante et membre du syndicat TUESWU, syndicat ukrainien a accepté de nous parler de cette guerre et des conséquences pour l’éducation.
Comment cette guerre affecte la vie des Ukrainien.nes et particulièrement les enfants ?
La guerre a causé de nombreuses destructions dans la vie de tous les Ukrainiens et Ukrainiennes. Depuis le début de cette guerre à grande échelle contre l’Ukraine, au sein de la population, les enfants sont parmi les plus vulnérables. Ils sont directement confrontés à la violence, face à des évènements traumatisants et soumis à un stress émotionnel permanent ayant un profond impact psychologique sur leur développement et leur bien-être futur.
L’un des effets les plus tangibles de la guerre sur les enfants est bien évidemment la perte de parents proches, de parents et d’amis. De nombreux enfants sont aujourd’hui orphelins et contraints de vivre dans des zones dévastées. Cela crée non seulement des difficultés matérielles mais conduit également à des traumatismes émotionnels, à un sentiment de perte et d’aliénation.
As-tu une idée de l’ampleur de ces effets sur les enfants ?
Du fait de la guerre, les enfants courent également le risque d’être la cible de tirs, de trébucher sur une mine, d’être blessés voire tués par des roquettes, des drones ou des missiles. Ils vivent dans une peur permanente et craignent pour leur vie et leur sécurité. De nombreux enfants sont traumatisés physiquement et psychologiquement, certains sont devenus handicapés suite aux hostilités. En avril 2024, on estime que 1831 enfants ont souffert directement de l’agression à grande échelle de la Fédération de Russie. Selon les informations officielles des procureurs pour mineurs, 542 enfants ont été tués et plus de 1291 blessés.
Qu’en est-il de l’expulsion d’enfants d’Ukraine par les Russes ?
La Fédération de Russie viole aussi les droits des enfants puisqu’elle procède à l’expulsion illégale d’enfants vers le territoire russe. Ainsi, ce sont plus de 19 500 mineurs qui ont ainsi été expulsés. L’Ukraine s’efforce constamment de ramener ces enfants dans leur pays d’origine. À ce jour, l’Ukraine a réussi à rapatrier 388 enfants déportés en Russie. Le Parlement Européen a récemment adopté une résolution reconnaissant cette déportation d’enfants ukrainiens vers la Russie et la qualifiant de génocide.
Quelles sont les conséquences de la guerre pour l’éducation (les bâtiments, pour les étudiant.e.s et les élèves, pour les enseignant.e.s) ?
Cette invasion a eu de graves conséquences sur l’enseignement secondaire en Ukraine. Des centaines d’écoles ont été détruites ou fortement endommagées. A ce jour 3467 établissements scolaires du secondaire ont été touchés par des bombardements et 387 d’entre eux complètement détruits. (Source : Ministère ukrainien de l’Éducation et des Sciences). 1259 écoles ont été endommagées et 223 complètement détruites. Cela représente 11 % du nombre total d’école que compte le pays. Elles se trouvent dans les régions de Donetsk, Kharkiv et Louhansk. Kharkiv a payé un lourd tribut puisque la moitié des écoles de la ville sont en ruine. Les écoles situées sur la ligne de front et à proximité de la frontière sont constamment menacées par les bombardements. Celles plus éloignées de cette zone de front et de la frontière avec la Russie sont endommagées du fait des bombardements effectués par des drones ou des missiles.
Outre les bâtiments scolaires, les biens scolaires, les bus pour amener les enfants à l’école sont détruits, endommagés et/ou volés. Dans les territoires occupés, les Russes détruisent les bibliothèques, brûlent les livres ukrainiens et les symboles de notre pays. À ce jour, seulement 565 établissements ont pu être reconstruits. Les élèves sinon sont scolarisés dans des refuges situés un peu partout en Ukraine. Il y a en a 22 453.
N’y a t-il pas aussi les mines en Ukraine ?
Outre les bombardements, l’Ukraine est l’un des pays les plus minés au monde. L’Agence Internationale de Lutte contre les Mines estime que plus du tiers du territoire ukrainien a été potentiellement miné par les troupes d’invasion russes. Au 15 janvier dernier, 229 civils en sont morts et 757 ont été blessés par ces mines et engins explosifs notamment des enfants et des enseignants. D’autre part, des millions d’enfants et des milliers d’enseignants ont été contraints de changer de lieu de résidence à l’intérieur du pays ou de fuir à l’étranger. Chaque jour, des enseignants, des étudiants, des enfants doivent surmonter les défis de la guerre et sont soumis à des interruptions forcées de l’enseignement du fait de raids aérien ou de coupures de courant et ce même si on a réussi à développer un enseignement à distance voire hybride depuis les lieux où ils se trouvent en sécurité.
Comment maintenir l’éducation dans un tel contexte ?
Les élèves de premier cycle étudient principalement en distanciel, aussi ils n’ont pas accès à une éducation de qualité, due à la communication entre eux ou avec les enseignants. Cela engendre des problèmes psychologiques chez les jeunes. Ainsi, 82 % de ces jeunes font état de pertes dues à la guerre selon une étude nationale. Près de la moitié de ces élèves connaissent des pannes de courant et ont des communications via internet instables. C’est un peu mieux ces derniers temps car la fréquence des pannes de courant a diminué. Il est vrai que cela est très dépendant du bombardement ou non des infrastructures du pays.
Quelles sont les conséquences pour les enseignant.e.s en Ukraine ?
Une des autres conséquences de la guerre est la diminution ou la perte de revenus pour 36 % de la population et pour 28 % de la population une détérioration de la santé mentale. La majorité des jeunes ukrainiens (plus de 70 %) éprouve une anxiété excessive avec une peur permanente pour 51 % d’entre eux. Seuls 18 % se sentent bien et ne ressentent pas de pression psychologique, c’est très peu. C’est le résultat d’une étude menée par l’UNICEF en collaboration avec Teenergizer fin 2023 sur la santé mentale de la jeunesse ukrainienne.
La guerre a détérioré la qualité de l’accès à l’éducation, approfondi les inégalités éducatives qui existaient, affecté négativement la qualité du processus éducatif et les résultats scolaires ainsi que l’état psycho-émotionnel des enfants, des jeunes, des étudiants et des enseignants.
Les conditions de travail des enseignants sont devenues très difficiles. Aujourd’hui, ils ont une double journée, voire triple ; travail en présentiel avec leurs élèves qui peuvent venir, travail avec les apprenants à distance et ceux qui ont fui à l’étranger et travail en plusieurs équipes.
Malheureusement, les salaires enseignants sont inférieurs à la moyenne nationale. Le métier requiert pourtant un haut niveau de qualification et il est épuisant émotionnellement. C’est pourquoi notre syndicat insiste malgré le contexte, négocie avec le gouvernement pour augmenter les salaires notamment pour celles et ceux qui ont récemment accédé à la profession. C’est crucial pour l’avenir de notre pays.
Comment les enseignants parviennent-ils/elles à maintenir les élèves et les jeunes dans l’apprentissage malgré les bombardements incessants ?
Comme évoqué précédemment, l’apprentissage se fait principalement en ligne. Lors d’alarmes liées à des raids aériens, tout le monde est obligé de descendre dans les abris. Les cours continuent malgré tout dans ces conditions car les élèves, les jeunes doivent poursuivre leurs études s’ils veulent vivre en Ukraine dans un pays libre et développé. Ils n’ont pas le choix. C’est notre vie, notre pays !
Comment fonctionne malgré tout votre syndicat durant cette guerre ?
Notre syndicat TUESWU (Syndicats des Travailleurs de l’Education et des Sciences d’Ukraine) avec ses antennes régionales ont dû s’adapter. On est parfois sans communication possible, sans chauffage, sans internet lors des coupures de courant de l’hiver 2023 ou au printemps 2024. On a toujours la peur de tirs de roquettes ou des raids aériens quotidiens. Malgré cela, on continue d’aider nos adhérents et à défendre leur protection sociale et économique.
Le dialogue social avec les autorités s’est poursuivi. On a été consulté et avons pu organiser des réunions. Différentes consultations ont pu être effectué. L’information quotidienne au sujet des activités de notre syndicat et de ses antennes régionales s’est poursuivie sur toutes les plateformes médiatiques. Le syndicat a également organisé différents évènements pour les éducateurs et les jeunes : des formations et des temps de conseil aux enseignants et conférenciers sur la manière de protéger et de défendre les droits sous la loi martiale. On a également organisé un forum étudiant panukrainien « la jeunesse pour l’Ukraine, l’Ukraine pour la jeunesse » ou encore des réunions élargies du Conseil de l’enseignement supérieur, du Conseil de le jeunesse travaillant et étudiante, du Comité Central de l’Union…
Et avec les syndicats du monde entier ?
TUESWU a continué à nouer des relations avec d’autres organisations syndicales internationales et d’autres syndicats. Actuellement, notre syndicat travaille étroitement avec la Fédération américaine des enseignants, des syndicats de travailleurs de l’éducation et des sciences en Slovaquie, en Moldavie, en Géorgie, en Lettonie, en Lituanie, en Pologne en Grande-Bretagne et en France dont le Sgen-CFDT. Dès les premiers jours de guerre, des éducateurs de l’Est et du Sud du pays, où se déroulaient des actions militaires russes, ont dû fuir à l’étranger. Ils ont presque tout perdu, y compris leur travail. C’est pourquoi notre syndicat a décidé de créer des pôles éducatifs dans les régions occidentales de l’Ukraine.
Notre syndicat en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour le Développement a mis en œuvre le projet « Éducation sans limites » ouvrant des espaces éducatifs pour les éducateurs et étudiants déplacés. L’objectif du projet est de fournir aux enseignants un accès continu au processus d’apprentissage, aux conditions de travail permettant de soutenir les jeunes, les enfants en leur offrant des opportunités d’apprentissage et de développement ultérieur. Dans ces centres, nous prévoyons de commencer des cours d’anglais pour les étudiants des territoires occupés mais aussi pour les étudiants qui veulent devenir enseignants.
Vous recevez des aides financières par solidarité, comment utilisez vous ces fonds en Ukraine ?
Au cours des deux dernières années, notre syndicat a reçu une aide financière du Fonds de Solidarité International pour l’éducation et des contributions financières directes des syndicats de différents pays (NDLR : le Sgen-CFDT a versé 50 000 €). Tous ces fonds ainsi que les fonds propres de notre syndicat ont été versés à ses membres blessés, aux familles des éducateurs tués, à ceux qui ont perdu leurs maisons ou dont la maison est partiellement détruite. Cela a permis aussi de maintenir l’éducation en achetant des tablettes numériques pour les enfants. Les personnes déplacées à l’intérieur du pays ont reçu une aide financière ciblée de la part de notre syndicat.
Pendant l’hiver 2023 – 2024, le TUESWU en coopération avec nos partenaires internationaux a fourni 50 groupes électrogènes à 12 établissements d’enseignement dans l’une des régions où se trouvaient le plus d’enfants déplacés à l’intérieur du pays. Notre syndicat a également achevé la mise en œuvre du projet « Solidarité Plus : protéger les enfants de la guerre » financé par nos partenaires italiens. Ce projet a pour objectif de créer un environnement sûr pour les enfants et les enseignants, notamment organisant un refuge souterrain dans une école secondaire de la région de Kiev. Grâce à ce projet, aujourd’hui 2000 enfants peuvent poursuivre leurs études en présentiel.
Mais encore ?
Pour la seconde année consécutive, le Syndicat, avec le soutien et l’aide financière de nos collègues allemands, envoie des groupes d’enfants de syndicalistes ayant souffert de la guerre, souffrant de traumatismes psychologiques suite aux sirènes et/ou attaques incessantes, bénéficier de réadaptations ou de loisirs dans des camps d’été dans toute l’Allemagne. Nous organisons aussi en partenariat avec le syndicat lituanien des camps d’été en Lituanie pour les enfants et les enseignants.
Nous tenons à remercier sincèrement toutes celles et tous ceux qui nous soutiennent.