Accueillir des enfants réfugiés allophones : Véronique Couvreur, enseignante en UPE2A témoigne

Publié le lundi 21 mars 2022 par Dominique Bruneau

Enseignante UPE2A à Lille, Véronique parle avec beaucoup de passion de son métier auprès des élèves allophones.

Véronique prend en charge actuellement 19 enfants réfugiés majoritairement d’origine afghane mais aussi d’Afrique avant l’arrivée prochaine de 4 petits ukrainiens.

Que requiert l’accueil d’enfants réfugiés au sein d’une école ?

La disponibilité de l’enseignant qui aura à accueillir cet enfant et la famille.
Disponibilité aussi  de la directrice et du directeur car il faut mettre l’enfant en confiance.
C’est le plus important pour un enfant qui arrive de l’étranger et qui a connu des choses très difficiles et qui ne peut en parler. Il faut se montrer disponible. Je suis quelqu’un de très tactile et je me permets de toucher l’épaule.
Il faut aussi se présenter, se renseigner sur les conditions de vie de cet enfant, sur son hébergement, précaire ou pas, si la famille a accès à Internet, comment il vient à l’école.
Après on organise très vite des prises en charge avec les acteurs municipaux. Par exemple, plusieurs de ces enfants réfugiés dans ma commune ont tout ou partie de leurs frais de repas pris en charge. La municipalité doit être à l’écoute de ces familles qui arrivent de l’étranger avec un parcours souvent très difficile.

Quel est le rôle d’un enseignant UPE2A pour l’accueil d’enfants réfugiés ?

Mon rôle est de lui permettre d’acquérir les bases du français, langue de scolarisation en réception orale et écrite, production orale et écrite, de tenir compte de ses besoins en procédant à une évaluation initiale.
C’est aussi de voir avec les écoles du secteur géographique s’il y a des arrivées et ce avec le CASNAV. Mon rôle est aussi de permettre à l’enfant de comprendre le système éducatif français, de coordonner des outils à destination de son enseignant de classe d’inclusion mais aussi de la famille, des parents pour peu qu’ils soient lettrés et parlent le français.
Il est fréquent qu’un membre de la famille parle le français. S’il n’y a pas cela, on demande aux familles une prise en charge par les centres sociaux pour qu’il y ait en dehors de l’école un soutien qui permette la pratique du français.
Moi je coordonne un peu tout cela. Je suis en lien avec l’ensemble des enseignants de mes élèves. J’ai le numéro de téléphone des familles pour pouvoir les joindre. On peut enregistrer des messages audio pour passer aux familles des informations, c’est un bon moyen de communiquer.

A partir de quel moment penses-tu que ton rôle s’arrête pour un enfant ?

La prise en charge est très critériée car elle part d’un diagnostic initial.
Si l’enfant n’est pas allé à l’école auparavant il faut d’abord lui apprendre à tenir un crayon, à rester assis, à être élève, à développer ses capacités de concentration, à développer un bagage culturel qui s’apparente à ce qui est fait sur 3 ans de scolarisation en maternelle.et ce même s’il est en maternelle. La prise en charge est déterminée par un cadre légal tout d’abord.
Si je respecte la circulaire qui jalonne mon métier, je ne peux pas prendre en charge un enfant plus d’un an sauf dérogation après avis de l’IEN mais pas au-delà de deux ans.
Pour les enfants réfugiés qui n’ont pas fréquenté l’école comme les petits Afghans que j’accueille en ce moment, je leur donne plus d’heures que ceux qui sont déjà allés à l’école et qui ont des bases de langue latine. Un arabophone, un asiatique, un Indien n’ont pas le même système de construction mentale linguistique ou système d’écriture. Cela va déterminer la variable de la prise en charge.
En dehors du cadre légal préconisé, je m’arrête quand l’enfant me dit : « maîtresse, est-ce que je peux faire cela avec ma classe ? ».
Je fais alors une évaluation de sortie du dispositif. Même si le niveau scolaire n’est pas atteint par rapport aux compétences attendues à son âge, tant pis. L’inclusion est gagnée et il faut que je m’efface.
Ces enfants réfugiés sont une richesse et pour rien au monde, je ne voudrais changer de métier.

Les enfants que tu prends en charge te racontent -t-ils leur histoire personnelle ? En tiens-tu compte dans ton approche pédagogique ?

Ils mettent beaucoup de temps pour être capables de raconter. Peu le font. Il y a plutôt des temps d’échanges avec la famille, souvent le papa, qui explique.
Je suis confrontée dans mon travail à des difficultés masquées par leur mauvaise maîtrise de la langue. De nombreuses fois, je m’aperçois que les enfants ont des difficultés d’apprentissage, ils ne progressent pas. Si un enfant, n’est pas au bout d’un an capable de me dire : « aujourd’hui, nous sommes lundi, il fait beau mais il fait froid »  alors qu’on le fait tous les jours, il y a là un problème et il faut faire des bilans.
Les psychologues, les orthophonistes sont très frileux pour faire des bilans car leurs cotations sont biaisées par le fait que ces enfants réfugiés ne disposent pas d’assez de vocabulaire.

On se bat donc pour que les enfants soient pris en compte et sur le fait que ces enfants soient aussi considérés comme des enfants en difficultés et pas essentiellement comme des étrangers.

enfants réfugiésLes enfants vont beaucoup plus s’exprimer par l’art. Il leur permet de dire les choses autrement car ils n’ont pas les mots et peuvent les exprimer.
Pour les plus grands, qui ont vécu des choses pas faciles, il y a déjà une pudeur installée. Ils vont dire, « c’est difficile », comme s’ils voulaient protéger leurs aïeux, restés là d’où ils viennent. Ils ne vont pas forcément en parler.
Si vraiment je vois qu’ils ont besoin de le faire, je travaille cela par des projets thématiques : projet sur le patrimoine lillois par exemple. Cela leur permet aussi d’évoquer le patrimoine de leur pays d’origine et qu’ils puissent redessiner leur maison. Les enfants qui ont eu des maisons détruites dessinent des maisons cassées, c’est un exutoire. Ils ont déjà tellement de mal à acquérir le langage  alors parler de ce qui a été le plus difficile de leur vie, c’est déjà compliqué pour des francophones mais c’est encore plus difficile pour des allophones.

 Comment dépasses-tu la barrière de la langue ?

Beaucoup de gens extérieurs au métier me disent : « mais tu parles combien de langues ? »
J’utilise, pour dépasser cela les gestes, beaucoup de sourires et d’encouragement. L’apprentissage de la langue française se fait par des rituels. On va répéter des choses tous les jours. Ces enfants lorsqu’ils arrivent : tu leur dis, « bonjour comment tu t’appelles ? « , ils te répondent : « bonjour, comment tu t’appelles »… Etc…
La ritualisation avec des supports imagés permet d’entrer dans des repères d’acquisition de la langue. Les autres enfants jouent un rôle essentiel car ce sont eux qui leur apprennent des choses en fait grâce aux interactions avec les camarades.
Il y a plein de profils d’enfants. Les enfants timides craintifs vont mettre plus de temps mais dans l’ensemble avec une coordination régulière avec la famille et l’enseignant, les enfants progressent…. Cela passe par des temps joyeux, en faisant des gâteaux, en allant au musée, en découvrant la ville, en se rendant en forêt, en faisant du théâtre avec les autres classes. .

Quel travail mets-tu en place avec l’enseignant de la classe où se trouve l’enfant ?

Je suis une passeuse pour l’enfant avant qu’il soit autonome.

Je travaille avec l’enseignant référent et mon téléphone chauffe souvent le dimanche soir.
Quand ce sont des enfants qui viennent d’arriver comme les 4 petits Ukrainiens qui vont arriver bientôt, je fais juste une recherche d’outils pour permettre à l’enfant d’être en autonomie au sein de la classe (des activités de graphisme, de numération adaptées…).enfants réfugiés
Un enfant d’âge de CM2 qui n’a jamais été à l’école fait ainsi des activités de maternelle. Il faut pouvoir les préparer, les adapter, comprendre combien de temps l’enfant va rester concentré sur une tâche, trouver avec l’enseignant titulaire un enfant tuteur pour faire des interactions langagières, répéter des syllabes, faire des activités répétées, répéter l’alphabet.
Petit à petit, quand l’enfant acquiert le code écrit, quand c’est le moment des maths, il y a proposition de différencier les nombres, comprendre les techniques opératoires pour que l’enfant comprenne.
Quand le vocabulaire de base, le code alphabétique est acquis, les nombres jusqu’à 100 sont maîtrisés, il y a toujours moyen que l’enfant fasse les activités avec les autres à condition que l’enseignant titulaire différencie.
Quand vraiment ce n’est pas possible, je fournis des outils spécifiques que je peux créer et je donne à l’enseignant des textes, des exercices adaptés, du matériel aussi. J’ai deux armoires pleines de jeux où les collègues peuvent se servir et les amener dans leur classe.
Pour les enfants qui sont en milieu de course ou en fin de prise en charge, ils travaillent sur ce qu’ils n‘ont pas compris dans la classe. Je fais cela à partir de la cinquième période quand la prise en charge a commencé en septembre.
Je travaille avec eux ce qu’ils n’ont pas compris en classe à partir du rituel du « quoi de neuf ». Il y a toujours moyen de les raccrocher. Je peux donner des temps individualisés pour des notions très spécifiques : syntaxe ou mathématiques (30 à 45 minutes).
Cela demande un travail en amont avec l’enseignant pour cerner ce que l’enfant n’a pas compris au cours de la semaine.

Comment travailles-tu avec ces élèves ?

Je fais des regroupements d’élèves à la journée.
Aujourd’hui, j’en suis à mon cinquième emploi du temps. Je peux prendre des enfants à la journée.

Depuis la situation sanitaire, c’est plus efficient de retravailler par groupes de tranches d’âges et de besoins, plus souvent mais moins longtemps et en ciblant une compétence par quart de journée.

Une journée, c’était bien pour le tutorat des enfants plus jeunes mais la population a changé. Je dois réadapter ma pédagogie, mon emploi du temps.
Pour les enfants non scolarisés avant leur arrivée, il y a un fort travail à mener sur le livre et c’est plus intéressant de le faire par petits groupes.
A partir du moment où l’élève est en CM1 et qu’il ne connaît pas l’alphabet la cointervention est vaine car je ne peux faire du langage oral, faire des micro-groupes pour intégrer d’autres élèves.
Ces élèves ne connaissent pas les codes donc quand je les fais répéter en classe, ils parlent très fort donc difficile dans un groupe classe de fonctionner ainsi. Avec des grands débutants c’est impossible.

Quelles revendications pour les enseignants UPE2A mais aussi pour les enseignants traditionnels autour de l’accueil de ces enfants ?

Il y a une question de moyens. Sur beaucoup de territoires où il n’existe pas d’UPE2A, les enfants ne peuvent bénéficier que d’Heures Supplémentaires d’Enseignement dispensées par un enseignant de l’école après avis initial du CASNAV.
Les enseignants ne sont pas forcément formés.

Favoriser un meilleur accueil des enfants allophones, c’est permettre d’avoir plus d’enseignants formés à l’UPE2A mais il faudrait aussi former les autres enseignants notamment dans le cadre de la formation initiale.

Les enseignants traditionnels doivent également pouvoir bénéficier des formations construites par le CASNAV dans le cadre de la formation continue.

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