Après une communication tonitruante insistant sur la sanction et la répression, le plan interministériel contre les violences à l’École semblait parti pour attendre. Cependant, le ministre de l’Éducation nationale a fait des annonces le 31 octobre 2018 après une réunion des recteurs et rectrices.
Depuis l’agression inacceptable dont a été victime une collègue d’un lycée de Créteil, et les témoignages de collègues rassemblés sous le hastag #PasDeVague, le gouvernement a semblé vouloir jouer uniquement sur le registre sécuritaire et répressif. Depuis les derniers jours d’octobre 2018, les propositions de mesures se font plus raisonnables. Jean-Michel Blanquer a présenté aux recteurs et rectrices puis à la presse les mesures relevant de l’Éducation nationale.
Les mesures annoncées par le ministre
Appelant à ne pas minimiser et à ne pas exagérer les violences à l’école, le ministre structure ses annonces en trois parties :
- celles qui concernent la classe,
- celles qui concernent l’établissement,
- celles qui concernent les relations entre l’établissement et son environnement qu’il appelle « les abords de l’établissement ».
Il insiste sur le fait que nombre de ces mesures ne sont en fait pas des nouveautés, mais affirme sa volonté de voir systématiser certaines pratiques et procédures.
Dans la classe
- assurer une réponse systématique à chaque signalement fait, faciliter les signalements en instaurant un registre papier ou numérique ; les personnels de direction devront apporter une réponse rapidement à chaque incident signalé et présenter un bilan annuel des incidents et sanctions devant le conseil d’administration ;
- systématiser l’activation de la protection fonctionnelle, de l’accompagnement juridique et professionnel des personnels ainsi que l’accompagnement physique du professeur au commissariat en cas de dépôt de plainte ;
- mobiliser les cellules de ressources humaines de proximité pour cet accompagnement ;
- mener une enquête de victimation auprès des professeurs dès cette année ;
- réformer la formation initiale et continue des professeurs et des personnels d’encadrement pour y faire plus de place à l’exercice de l’autorité.
Dans l’établissement
- simplifier les conseil de discipline : réduire le nombre de membres à 6 et raccourcir le délai de convocation ;
- utiliser des sanctions éducatives et proportionnées, développer les mesures de responsabilisation et de réparation, y compris par des liens avec le monde associatif ;
- instaurer une période probatoire après toute période d’exclusion : un mois, pendant lequel l’élève de retour après une mesure d’exclusion aura un entretien quotidien avec le CPE ou le chef d’établissement pour faire un point sur sa scolarité et son comportement ;
- affecter un personnel de direction adjoint supplémentaire plus particulièrement en charge de la sécurité pour certains établissements ;
- rendre possible des permanences assurées par un·e policier·e ou gendarme dans l’établissement, pour une durée limitée, à la demande du chef d’établissement ;
- concentrer des moyens sur les établissements qui subissent l’installation de phénomènes dangereux (le ministre cite aussi bien la violence et les incivilités qu’un trafic de stupéfiant aux abords de l’établissement) ;
- prendre en compte les enjeux de la sécurité et du climat scolaire dans le cadre de l’évaluation des établissements.
L’établissement et ses partenaires, des mesures à développer dans le cadre interministériel
- sécuriser les abords des établissements ;
- responsabiliser les parents et soutenir la parentalité ;
- recourir aux centres éducatifs fermés (ce qui relève d’une décision de justice) ou à un autre type d’établissement (sans rééditer les erreurs des établissements de réinsertion scolaire, et donc sur un modèle à inventer) pour les élèves posant le plus de difficulté, le ministre insistant sur le petit nombre d’élèves concernés.
Réaffirmation de la dimension éducative
Lors de la présentation de ces mesures, le 31 octobre 2018, le ministre a répété à de nombreuses reprises que toute sanction devait avoir du sens et une dimension éducative. Enfin, il a affirmé ne pas vouloir favoriser le recours aux exclusions : « il ne faut ni mettre sous le tapis, ni mettre dans la pièce d’à côté en se délestant sur les CPE ou sur d’autres établissements ».
Ce qu’en pense le Sgen-CFDT
Cette conférence de presse confirme un changement de ton bienvenu après quelques jours de ce qui a ressemblé à une surenchère sécuritaire.
Ce qui correspond à des propositions que nous faisions
Le Sgen-CFDT a fait connaître aux conseiller·es du ministre son analyse et ses propositions.
Le ministre a enfin dit plus clairement qu’il s’agissait d’abord de mieux mettre en œuvre des dispositifs existants. Ce retour à la raison est une première étape pour structurer une politique de fond et sortir de la communication politique.
En ce qui concerne les signalements par un registre, le Sgen-CFDT avait rappelé qu’existe dans tout établissement un registre santé et sécurité ainsi qu’un registre spécial de signalement de danger grave et imminent, dans lesquels les personnels pouvaient déjà signaler les incidents de type incivilité, violence verbale ou physique. L’intérêt pour les personnels, c’est que ce registre obligatoire doit être consulté régulièrement par les personnels de direction qui doivent apporter des réponses et solutions aux problèmes soulevés. La proposition d’y adjoindre la présentation d’un bilan annuel en conseil d’administration peut être un levier pour que l’ensemble de la communauté éducative prenne la mesure des problèmes rencontrés et construise collectivement les solutions les plus appropriées. Cela fera aussi obligation aux autorités académiques de prendre la mesure de la réalité vécue dans les établissements.
L’insistance du ministre sur la dimension éducative des sanctions et l’attention à la poursuite de la scolarité des élèves est importante pour que l’École ne soit pas dépossédée de sa mission première, même lorsqu’il est nécessaire de sanctionner des élèves.
Enfin, le ministre a indiqué l’accompagnement qu’il souhaite pour les personnels de son ministère lorsqu’ils sont victimes de violences verbales ou physiques. Il était temps que l’État employeur s’exprime plus clairement sur le soutien qu’il entend apporter à ses agents.
Ce qui manque
Cependant, pour le Sgen-CFDT, il manque des éléments qui nous semblent incontournables :
- réaliser les créations de postes et recrutements permettant d’avoir des équipes pluriprofessionnelles complètes dans les établissements avec turn-over le plus faible possible : les suppressions de postes d’enseignant·es, la non création de postes de CPE, d’assistant·es de service social, d’infirmier·es, de médecins scolaires montrent que le gouvernement n’est pas prêt à investir dans cette direction, nous continuerons de le dénoncer ;
- structurer une politique de la ville et des politiques jeunesse ambitieuses : pas un mot sur ces axes, et un gouvernement qui envisage toujours des dépenses élevées pour un service national universel, plutôt que de financer davantage la lutte contre la pauvreté ou la mise en œuvre d’un plan banlieue ;
- développer la mixité sociale et scolaire dans les établissements : le ministre semble peu préoccupé par ce sujet depuis son arrivée au gouvernement.
Ce qui inquiète
Le ministre se place encore beaucoup dans le cadre d’un discours sur le retour à l’autorité. Il semble ainsi renvoyer à un âge d’or et à un modèle d’autorité qui ne sont jamais définis précisément, mais qui s’approchent d’une nostalgie pour une école marquée par la séparation stricte d’ordres d’enseignement très inégaux. Le discours semble de ce fait en partie contradictoire. Dans ce cadre, l’évocation des lignes à infliger aux élèves comme sanction possible en réponse à la question d’une journaliste dénote. Outre le fait qu’il est étonnant qu’un ministre cite une pratique en exemple alors qu’elle n’est plus autorisée réglementairement depuis la fin du XIXème, ce n’est pas le modèle de sanction à dimension éducative qu’il a voulu mettre en avant dans sa présentation.
Imaginer en un mois et demi un nouveau type d’établissement pour prendre en charge les élèves posant le plus de problème ou poly-exclus, cela semble court. Il y a un risque d’élaborer de nouveau un dispositif coûteux dont on fera ensuite le constat qu’il ne répond pas au défi soulevé. Or la mission confiée à Béatrice Gille sur ce sujet doit rendre ses conclusions avant le 15 décembre 2018.
Tout le discours du ministre porte sur les professeur·es comme si les autres personnels des établissements n’étaient pas concerné·es par les violences verbales et physiques. Les mesures concernent quasi exclusivement les établissements du second degré, les violences dans les écoles du premier degré semblent un angle mort, sauf pour la question de la prévention.
Le ministre fait des annonces importantes par exemple sur l’évolution des conseils de discipline, sans dialogue social ni avec les organisations représentatives des personnels, ni avec les représentant·es des parents d’élèves et des élèves.
Le gouvernement fait des annonces sur l’accompagnement des personnels sans s’en donner les moyens : faut-il le rappeler, en deux ans ce gouvernement supprime 600 postes administratifs, essentiellement dans les services déconcentrés… Or ce sont ces personnels qui doivent participer aux services ressources humaines de proximité, ce sont encore eux qui traitent les dossiers de protection fonctionnelle, les dossiers des élèves exclus d’un établissement pour leur trouver un nouvel établissement, qui exploitent et analysent les documents des conseils d’administration. Une fois de plus, il n’est pas certain que le ministère ait les moyens de sa politique, au détriment des personnels et des élèves.