L’attractivité du métier enseignant : une question de politique publique

Publié le jeudi 7 décembre 2017 par Laurent Alexandre
Un dossier pour éclairer les débats à venir sur les questions de gouvernance et de formation

La réunion du comité plénier du dialogue social européen sectoriel de l’éducation du 23 novembre a notamment mis une nouvelle fois en évidence que le problème de l’attractivité du métier enseignant était une question qui préoccupe non seulement la France mais aussi tous les pays de l’Union européenne. Un défi majeur pour le dialogue social doit bien être de « remédier aux pénuries de recrutement dans l’éducation en transformant la profession d’enseignant sur une base de professionnalisme, d’aspiration, de travail d’équipe, et d’opportunités de carrière », pour reprendre les propos du Comité Syndical Européen de l’Éducation (CSEE).

Pour bien comprendre...

  • L’éducation nationale manque d’enseignants
  • Les raisons de la désaffection croissante pour le métier de professeur
  • Un métier sous tension dans de nombreux pays
  • Quel partage des compétences entre pouvoir central et pouvoirs locaux ?

L’Éducation nationale manque d’enseignants

Tous les postes n’ont pas trouvé preneurs en 2017. Les données statistiques des concours pour devenir professeur1 apportent des informations plutôt contrastées sur la situation du recrutement. Ainsi, à la session 2017, 12 932 candidats ont été déclarés admis aux concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE) de l’enseignement public et 1 999 candidats ont été inscrits sur liste complémentaire. Mais au concours externe de recrutement de professeur des écoles (CERPE), sur les 11 722 postes offerts, seuls 11 241 candidats ont été finalement admis. Selon l’expression consacrée, le concours de professeur des écoles n’est plus « saturé » dans les académies de Créteil et de Versailles pour la deuxième année consécutive. Autre élément significatif, sur les 71 832 candidats inscrits au CERPE, seuls 29 010 candidats se sont finalement présentés aux épreuves d’admissibilité.

Pour le CAPES, même constat. En 2017, 8 500 postes étaient offerts aux concours du Capes de l’enseignement public (hors concours réservé). 49 382 candidats se sont inscrits et 25 148 se sont présentés aux épreuves d’admissibilité. 13 516 candidats ont été admissibles et 7 149 admis : les disciplines « arts plastiques », « éducation musicale et chant choral », « allemand », « anglais », « lettres classiques », « lettres modernes » et « mathématiques » sont déficitaires.

Ce déficit de titulaires conduit mécaniquement à l’arrivée de nombreux contractuels. L’Éducation nationale emploie maintenant environ 30 000 enseignants non titulaires pour occuper les postes vacants ou faire des remplacements. Sous le statut de « contractuels » (ou, jusqu’en 2016, de « vacataires »), ils représentent une proportion grandissante des enseignants du second degré (7,5% de l’ensemble des effectifs) et sont en augmentation dans le premier degré.

La baisse des postes aux concours dans le second degré ne va rien arranger

L’Éducation nationale a fait le choix de réduire la voilure pour la session 2018. La publication au Journal officiel le 29 novembre des postes pour tous les concours externes du second degré témoigne d’une baisse généralisée de 20% en moyenne, alors même que le nombre d’élèves attendus à la rentrée prochaine dans les collèges et les lycées va augmenter de presque 20 000 jeunes. Les postes mis aux concours internes sont préservés. Pour le concours de professeur des écoles, il faut encore attendre.

Pour l’entourage du ministre, la baisse devait correspondre aux postes non pourvus aux concours en 2017. En réalité elle va bien plus loin que cela : pour le Capes externe, par exemple, 6011 postes ont trouvé preneur en 2017 et il n’y a que 5 833 postes offerts en 2018. L’ajustement aux réalités de recrutement des postes en 2017 n’est pas fait non plus et il ne pouvait l’être : comment réduire les postes dans les disciplines comme les lettres, les mathématiques et l’anglais qui sont déjà gravement déficitaires ? On peut faire alors l’hypothèse que malgré la baisse des postes au concours, il y aura encore des postes non pourvus en 2018.

Les raisons de la désaffection croissante pour le métier de professeur

Le constat d’une pénurie d’enseignants qualifiés et d’une faible attractivité du métier d’enseignant attise les débats sur la qualité de l’éducation en France. Faute de candidats suffisants et dans la mesure où certains concours ne sont plus assez sélectifs, la qualité des stagiaires recrutés est immédiatement posée. Là encore, on peut faire l’hypothèse qu’elle le sera à nouveau pour la session de 2018. Il n’en faut pas moins aux détracteurs de l’universitarisation de la formation des enseignants pour remettre en cause le modèle actuel de formation dans les ÉSPÉ : l’augmentation du niveau de recrutement serait la cause majeure de la désaffection croissante pour le métier de professeur. Pierre Périer, professeur des Sciences de l’éducation à l’Université de Rennes 2 et auteur d’une étude pour le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) sur l’attractivité du métier d’enseignant apporte des éléments plus nuancés2.

– Les postes à pourvoir ont augmenté extrêmement vite ces cinq dernières années en raison de la promesse tenue du président Hollande en 2012 de rétablir une formation initiale et de recréer environ 54 000 postes d’enseignants dans l’Éducation nationale. Cette croissance très rapide a eu pour conséquence immédiate que les effectifs des candidats et la qualité des candidatures n’ont pas toujours suivi : il faut à la fois du temps et un vivier suffisant pour orienter et former des étudiants aux métiers de l’enseignement et de l’éducation. Répondre à l’urgence du recrutement causée par la posture idéologique du président Sarkozy de ne pas remplacer le départ d’un fonctionnaire sur deux (suppression de 80 000 postes dans l’Éducation nationale entre 2007 et 2012) a nécessité de recruter avec une assiette de niveau plus large. Ce qui n’est pas valable partout. Si les académies les moins attractives comme Créteil, Versailles, Amiens ou Reims sont les premières à manquer de candidats de bon niveau, dans le privé comme dans le public, à l’inverse, à Rennes, où le niveau scolaire est parmi les plus élevés de France, seuls 20 % des postulants sont admis dans les ÉSPÉ en master MEEF « Professeur des écoles », ce qui garantit un excellent niveau académique des jeunes enseignants du primaire. Cette académie bénéficie d’un contexte social plutôt favorisé, elle produit de bons bacheliers, qui vont devenir de bons enseignants et de bons candidats. « C’est un cercle vertueux », analyse Nathalie Mons, la présidente du Cnesco.

– Le recrutement d’enseignants plus faibles pourrait être compensé si la formation continue était renforcée. Or, elle est terriblement absente. Quasi inexistante aujourd’hui, ou organisée pour répondre au coup par coup aux réformes en cours, la formation continue des enseignants, de l’avis des chercheurs du Cnesco, aurait besoin d’une sérieuse relance, et d’un caractère obligatoire.

attractivite metiers enseignants– Les bas salaires sont aussi un des facteurs qui expliquent le manque d’attractivité du métier d’enseignant. Dès qu’on regarde les débuts de carrières comparativement à d’autres pays d’Europe, les enseignants débutants français sont plutôt mal classés même si cela s’améliore au cours de la carrière. L’affectation des professeurs débutants dans des académies souvent éloignées de leur domicile et où les frais induits de logement et de transport sont souvent élevés, en particulier en Île-de-France, renforce la paupérisation des enseignants. Alors que le niveau de recrutement demande maintenant un bac+5 tout à fait légitime au XXIème siècle dans le cadre d’une société apprenante, de nombreux candidats préfèrent finalement s’orienter vers des secteurs mieux rémunérés.

– La question de l’attractivité renvoie également au statut même des enseignants que ces derniers ressentent comme dévalorisé. L’enquête TALIS 20133 a souligné le sentiment qu’ont les enseignants d’une faible valorisation de leur métier par la société : en moyenne, seulement un quart des enseignants estime leur métier suffisamment reconnu. Il est grand temps de revaloriser l’image des enseignants.

Un métier sous tension dans de nombreux pays

Dans d’autres pays, la situation de pénurie est encore bien plus prononcée. Le phénomène de massification de la scolarisation, qui s’accentue au début du XXIème siècle, engendre une plus grande hétérogénéité des publics scolaires et provoque un besoin accru de nouveaux enseignants dans des proportions jamais atteintes. Le numéro d’avril 2017 de la Revue internationale d’Éducation de Sèvres, coordonné par Patrick Rayou, de l’université Paris 84, met en évidence, dans des contextes pourtant très différents (Rwanda, États-Unis, Argentine, Suisse, Niger, Shangaï, France, Finlande), une exigence commune de professionnalisation, qui demeure paradoxale pour de multiples raisons. Les auteurs soulignent aussi l’importance cruciale de l’accompagnement dans l’établissement scolaire et l’enjeu politique du développement professionnel des enseignants. Dans de nombreux pays, on observe une diversification des parcours des enseignants débutants et un phénomène de décrochage professionnel, en lien avec les conditions matérielles et symboliques d’exercice du métier. Les réorganisations en cours du métier d’enseignant, montrées par les contributions, révèlent, de fait, les modèles politiques d’éducation des sociétés contemporaines.

À ce contexte particulier, les pouvoirs publics répondent par des réformes de la formation et de l’accès au métier. Une autre étude comparative des systèmes éducatifs en Angleterre, aux Pays-Bas et en Suède5 relève des logiques différentes : exigences de qualité renforcées en Suède et aux Pays-Bas, élargissement des viviers de recrutement dans le cas de l’Angleterre. Plus globalement, les réformes engagées dans les pays de l’OCDE afin de rendre les enseignants de plus en plus comptables de la réussite éducative de leurs élèves confèrent un rôle stratégique de gestionnaire aux administrations locales. Ces réformes ne semblent toutefois pas exercer d’effets sensibles sur la revalorisation collective du statut d’enseignant et se heurtent à des enjeux de légitimation. La profession enseignante évolue dans un contexte de renouvellement profond de la gouvernance publique, classiquement désignée par le terme de New Public Management (nouvelle gouvernance publique). Les auteurs de l’étude soulignent que deux principales tendances se démarquent aujourd’hui dans l’éducation en Angleterre, aux Pays-Bas et en Suède. « D’une part, la décentralisation du système éducatif amorcée il y a quelques décennies se poursuit, tout en rivalisant avec un retour de l’État de plus en plus affirmé, notamment dans le domaine des programmes scolaires et de l’évaluation des établissements. De l’autre, un brouillage des frontières entre les secteurs public et privé dans le financement et la gestion de l’éducation est à l’œuvre. Le métier d’enseignant y est profondément marqué par ces dynamiques. » La France se rapproche-t-elle de ces orientations ? Les déclarations de Jean-Michel Blanquer au printemps dernier sur sa volonté de confier davantage d’autonomie aux acteurs éducatifs et de s’inspirer de la gestion des établissements privés tout en relançant des évaluations nationales conçues comme un outil de pilotage indiquent une volonté manifeste de s’inscrire dans cette nouvelle forme de gouvernance publique.

« La professionnalisation du métier peut difficilement s’exonérer d’une forme d’adhésion des enseignants eux-mêmes aux réformes qui la portent »

attractivite metiers enseignantsLe partage de plus en plus complexe des compétences en éducation entre pouvoir central et pouvoirs locaux est très certainement le défi majeur sur lequel nous aurons à nous prononcer. L’objectif du Sgen-CFDT est bien de transformer le système éducatif mais pour qu’il soit moins élitiste, plus équitable et plus efficace pour les élèves, tout en améliorant les conditions de travail des personnels. Les auteurs de la dernière étude citée concluaient que « la professionnalisation du métier peut difficilement s’exonérer d’une forme d’adhésion des enseignants eux-mêmes aux réformes qui la portent ». C’est sur ce principe que le Sgen-CFDT entend bien peser dans les débats à venir autour des questions d’autonomie, de gouvernance, de formation et de recrutement.

————

1 L’ensemble des données statistiques des concours pour devenir enseignant (CRPE, agrégation, Capes, Capeps, Capet, Caplp) depuis 2008 sont disponibles sur le site du MEN

4 « Les enseignants débutants », Revue internationale d’éducation, Sèvres, CIEP, n°74, avril 2017

5 « Le métier d’enseignant en Angleterre, aux Pays-Bas et en Suède : les voies sinueuses d’une professionnalisation » Florence Lefresne et Robert Rakocevic, MENESR-DEPP, mission aux relations européennes et internationales, in Les enseignants : professionnalisation, carrière et conditions de travail, Éducation & Formation, n°92, décembre 2016, p. 7-34.

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E-mail : contact@epst-sgen-cfdt.org
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