Créé et co-gouverné par des organisations syndicales, l'Institut de recherches économiques et sociales leur apporte des éléments d'analyse qui renforcent leur capacité d'action. Frédéric Rey, chercheur à l'Irés, parle de la coopération avec les organisations syndicales et des études réalisées.
Une version condensée de cette interview est parue dans Profession Éducation, le mensuel du Sgen-CFDT, n° 262 (juin-juillet 2018).
des enquêtes originales et essentielles pour saisir la complexité de notre système de relations sociales…
Comment se déroule une enquête Irés du point de vue des chercheur·euse·s ?
Chaque organisation syndicale définit un programme d’études annuelles dans le cadre de l’agence d’objectifs de l’Institut. Ce programme, présenté et discuté à l’Irés, permet aux organisations de choisir les chercheur·euse·s spécialistes qui piloteront les travaux. Les chercheur·euse·s présentent toujours un premier projet aux responsables des études, parfois en présence des porteurs politiques des projets (les mêmes sont souvent à l’origine de la demande).
C’est un moment-clé de l’enquête : la responsable des études a en mémoire les travaux passés et possède une expertise de la recherche « finalisée », tandis que la responsable politique précise et affine sa demande. Avec la CFDT, ces coopérations étroites permettent de préciser le protocole d’enquête (méthode, terrains, archives, etc.) L’essentiel du travail se fait dans les mois qui suivent, avec l’aide des organisations et des structures pour accéder aux terrains, rencontrer les acteurs pertinents et obtenir leurs témoignages, passer des questionnaires, etc. Dans certains cas, nous sommes proches de la recherche-action avec les militant·e·s de l’enquête.
Un angle d’approche original, des sujets peu traités par ailleurs…
Au final, la richesse du matériau ainsi recueilli contribue à la réalisation d’enquêtes toujours originales et essentielles pour saisir la complexité et comprendre le fonctionnement de notre système de relations sociales. Souvent, les études Irés apportent des éléments réellement nouveaux soit parce qu’elles adoptent un angle d’approche original, soit parce qu’elles abordent des sujets peu traités par ailleurs. Dans d’autres cas, elles complètent utilement les travaux existants en proposant des points de vue syndicaux inédits car plus fouillés, plus développés, avec des perspectives internationales, intégrant des questions moins étudiées ! Les enquêtes sont ensuite restituées sous la forme de rapports d’étude, accompagnés de résumés et de synthèses, puis de présentations aux équipes selon les demandes.
Peut-on avoir confiance dans les résultats d’études « syndicales » ?
C’est une vraie question – qui se pose d’ailleurs pour toute recherche, qu’elle soit syndicale, patronale ou publique. En tant que chercheurs, nous visons toujours l’objectivité et la neutralité dans nos analyses. La solidité des résultats est d’ailleurs une attente des commanditaires qui pourront s’en saisir d’autant plus facilement et efficacement qu’ils reflètent avec justesse les réalités économiques et sociales dans les entreprises, les organisations, les services publics, les structures syndicales et les territoires…
les méthodologies sont toujours présentées dans les rapports, et transparentes
Nos méthodologies sont toujours présentées dans les rapports, et transparentes, ce qui permet à chacun de vérifier nos matériaux et nos sources. De plus, nos analyses sont discutées à la fois par les militants et responsables syndicaux, et par nos pairs selon le mode de fonctionnement académique. Notre communauté de recherche est en quelque sorte garante de notre indépendance.
Les études Irés sont-elles réservées aux organisations ?
Les études de l’agence d’objectifs répondent à des demandes syndicales en lien avec l’actualité ou traitent de sujets originaux qui méritent des développements spécifiques.
Elles constituent un apport irremplaçable dans l’expertise sociale. Mais leur intérêt va bien plus loin. D’abord, les études font l’objet de valorisations dans la Revue de l’Irés, qui est reconnue pour son excellence et lue bien au-delà des organisations syndicales, notamment par les universitaires, les acteurs sociaux et les décideurs politiques.
Des questions sociales et syndicales qui intéressent bien au-delà des organisations commanditaires…
En tant que chercheur, je peux dire que les travaux de l’Irés sont très appréciés et reconnus pour leur excellence, et qu’à ce titre, ils nourrissent les recherches académiques, et réciproquement.
Ensuite, les colloques et séminaires de l’Irés irriguent également la réflexion collective, et font « système » avec les études.
Enfin, de nombreuses collaborations avec les réseaux experts et universitaires, nationaux et internationaux, permettent la circulation et la discussion des résultats et des idées. Les questions sociales et syndicales intéressent donc bien au-delà des seules organisations commanditaires, ce qui donne aux travaux de l’Irés une importance de premier plan pour notre système de relations professionnelles.
Mais alors, n’est-ce pas trop « universitaire » et théorique ?
C’est tout l’enjeu : produire une expertise de haut niveau qui serve réellement sur le terrain syndical. Les chercheur·euse·s mobilisé·e·s sont des spécialistes qui travaillent dans des laboratoires de recherche du CNRS et dans les universités, qui publient dans des revues académiques… Mais de plus en plus, nous sommes sensibilisés à la diffusion de nos travaux en direction des acteurs sociaux – et les chercheur·euse·s qui ont l’habitude de travailler avec l’Irés le sont tout particulièrement.
Produire une expertise de haut niveau qui serve réellement sur le terrain syndical…
De nombreux outils permettent de produire ce dialogue et de tenir à la fois l’exigence académique et la portée pratique, l’expertise universitaire des chercheur·euse·s et l’expertise du terrain possédée par les militant·e·s : ce sont par exemple les synthèses et notes argumentaires de l’Irés, les sessions de formation-action, et évidemment, nous sommes toujours à la disposition des organisations pour venir présenter et discuter nos travaux.