Nous avons rencontré Emmanuelle Perez-Tisserant, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université Toulouse-Jean Jaurès et coorganisatrice de la Marche pour les sciences en France. Présente dans le cortège parisien du 22 avril, elle évoque cette mobilisation citoyenne.
La Marche pour les sciences s’est tenue dans le monde entier le 22 avril dernier. Elle a réuni en France (à Brest, Grenoble, Montpellier, Paris, Toulouse, Saint-Denis de la Réunion…) près de 12 000 personnes à l’initiative de chercheurs et d’enseignants-chercheurs soutenus par des associations, des journalistes scientifiques, des organismes de recherche et des organisations syndicales dont la CFDT et le Sgen-CFDT.
Rencontre avec Emmanuelle Perez-Tisserant, coorganisatrice de la Marche en France.
Le succès tient à la mobilisation importante que nous avons pu constater à Paris et en France en général (y compris en Nouvelle-Calédonie et à La Réunion). Mais aussi à la dynamique qui s’est manifestée en amont, avec la diversité des soutiens à ce mouvement, depuis les associations de défense de l’environnement jusqu’aux journalistes scientifiques en passant bien sûr par les organismes de recherche, les universités et les organisations syndicales. C’est aussi un mouvement citoyen : ce ne sont pas des dirigeants d’organismes, mais des citoyens, chercheurs, médiateurs, étudiants, curieux, qui se sont réunis et ont organisé la marche. Pour la plupart d’entre nous, c’était la première manif que nous organisions…
Un mouvement citoyen, de multiples soutiens…
Pour la suite, nous allons aussi réunir un ensemble de propositions pour améliorer la place des sciences dans la société en fédérant les propositions de nos différents soutiens, en les étudiant collectivement et en organisant une consultation populaire. En lien avec les marches européennes et mondiales, nous allons aussi travailler à des outils à l’échelle supra-nationale et de l’UE.
En tant que chercheuse en histoire sur l’Amérique du Nord (États-Unis/ Mexique), j’ai suivi de très près la campagne présidentielle aux États-Unis. Des amis sur place m’ont relayé l’extrême gravité des propos et des mesures envisagées par Donald Trump. Mais ce n’est pas seulement un élan de solidarité de ma part : si les États-Unis remettent en cause leur effort de recherche, en particulier sur le changement climatique, cela nous concerne tous. D’autre part les techniques de mensonge utilisées par Trump font déjà école chez nous. Son élection a montré que cela pouvait permettre de gagner. Cela enhardit ceux qui utilisaient déjà largement le mensonge et la manipulation.
Défendre l’espace de liberté de l’élaboration des savoirs que sont les universités et les laboratoires de recherche…
Il y a un enjeu politique à mieux informer les citoyens et les politiques, à mieux penser la formation à la méthode scientifique et à l’esprit critique, à garder cet espace de liberté de l’élaboration des savoirs que sont les universités et les laboratoires de recherche. Or ces espaces sont menacés en France aussi par les restrictions budgétaires, le manque de postes permanents qui créent une précarité parmi les enseignants et les chercheurs, l’idée qu’il faut absolument prioriser les secteurs rentables économiquement. Il est donc urgent de montrer que ces espaces sont centraux dans une société démocratique, éclairée, épanouie.
La situation en Turquie est extrêmement préoccupante pour toute la population, mais particulièrement pour les universitaires et chercheurs. Des groupes de soutien militent pour des sanctions sur la coopération avec l’organisme de recherche national turc. Des collègues turcs ont exprimé leur impossibilité d’organiser des marches pour les sciences chez eux.
Aux États-Unis, l’une des mesures qui a lancé l’idée de la marche était d’empêcher des scientifiques travaillant pour des agences publiques de communiquer avec le public sans validation de leur hiérarchie politique. Un mouvement d’aide à la sauvegarde des données a été lancé. Globalement, il faut exercer une vigilance et dénoncer les abus. L’une des pistes est de développer des outils supra-nationaux de protection des chercheurs et des données de la recherche.
Développer des outils supra-nationaux de protection des chercheurs et des données de la recherche.
Dans de nombreux pays (comme en ont témoigné au micro certains participants à la Marche), c’est la crise du financement qui pose problème, asphyxie la recherche et porte le risque de son asservissement à des intérêts privés. Coordonner une réaction internationale, mondiale, à ces enjeux pourrait nous donner des forces à tous.
Enfin toutes les initiatives qui permettent l’accueil et l’intégration des réfugiés, qu’ils soient étudiants ou enseignants et enseignants-chercheurs dans nos universités et nos laboratoires doivent être soutenues politiquement, financièrement et par un engagement à la mesure de chacun.
Je crois d’abord qu’il faut garder en tête que la grande majorité des enseignants à l’Université sont aussi des chercheurs, grâce au statut des enseignants-chercheurs. D’une part ce statut ne doit pas être remis en cause, d’autre part nous aurons besoin de davantage d’enseignants avec la croissance des effectifs étudiants. Ensuite on peut davantage initier à la recherche dès la licence, même si c’est un défi au vu de la disparité des niveaux et d’un manque de moyens (en effectifs, encadrement ou locaux).
Fédérer les initiatives, se mobiliser pour qu’elles soient reconnues…
De leur côté les enseignants se mobilisent régulièrement pour que leur matière soit enseignée comme une méthode scientifique de compréhension du monde (y compris pour les sciences humaines et sociales) plutôt que comme des connaissances à accumuler. Il faut aussi valoriser les moments de médiation avec le grand public ou avec les publics scolaires des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Ces initiatives sont nombreuses mais peu reconnues.
Il faut rendre possible une formation tout au long de la vie des citoyens (et des décideurs). Enfin les doctorants ou docteurs qui enseignent dans le secondaire ne peuvent conduire leur recherche qu’en prenant sur leur temps privé : on pourrait imaginer des aménagements de service qui pourraient aussi bénéficier aux élèves. Beaucoup de collectifs ont réfléchi à tout cela, il faut maintenant fédérer ces initiatives et les porter, se mobiliser pour qu’elles avancent.
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